Le monde est en guerre! Que ce soit en Tunisie, en France, ou ailleurs, le terrorisme est le même partout et il faut mener la guerre contre le terrorisme. Mais qui sont les terroristes, ils sont contre qui, contre quoi ? Serge Dufoulon, sociologue, et professeur de l’université Pierre-Mendès-France, propose son analyse sur la lutte contre le terrorisme. Interview …
leconomistemaghrebin.com : Qu’il soit en France, en Tunisie ou ailleurs, le terrorisme est international, de quoi se nourrit-il ?
Serge Dufoulon : Le terrorisme se nourrit de la misère et de l’ignorance. A mon avis, le plus important pour faire face à ce phénomène que nous vivons dans la terreur en Europe, ou en Tunisie et partout dans le monde, il faut se réapproprier l’espace public, il faut redéfinir les formes du contrat social. Quand on parle de contrat social, on parle de la souveraineté du peuple qui est à la base de toute société et comment l’on peut y contribuer à travers nos obligations citoyennes. Cela dit, il faut mobiliser la société, commencer par les écoles, les collèges, les universités, où il faut enseigner les vraies valeurs. Il faut que chacun de nous regarde l’autre et commence à se poser la question: “En quoi puis-je contribuer au bonheur de l’autre ? Et vice-versa”.
Comment inciter les jeunes à s’orienter vers la culture de la vie et non vers celle de la mort?
Il faut redonner des utopies (un système de conceptions idéalistes des rapports entre l’Homme et la société qui s’oppose à la réalité présente) aux jeunes, parce qu’on ne devient pas terroriste simplement pour l’argent ou parce qu’on habite dans des régions défavorisées. En France, il y a des Français qui se sont auto-radicalisés et qui vivent dans des catégories moyennes, ou assez aisées. Le problème, c’est qu’ils n’ont plus un idéal à prendre comme exemple, ils ne savent plus pourquoi ils vivent. “ Devenir célèbre, passer à la télé en devenant un terroriste, la mort pour un terroriste est une forme de reconnaissance sociale. Il ne faut pas que nos jeunes tombent dans ce piège, il faut leur donner d’autres formes de reconnaissance sociale à travers l’art de vivre, l’esthétique ou autres.
Selon vous, quelles seraient les solutions pour qu’ils ne soient plus endoctrinés?
Il faut revenir aux fondamentaux. On a des générations qui ont été sacrifiées, il faut du temps pour tout remettre en place. Il faut redonner de l’espoir aux jeunes, l’envie de vivre. Il faut que les intellectuels fassent leur part de travail et dialoguer avec les jeunes et non simplement passer dans les débats télévisés.
Quelles sont les valeurs qui peuvent être inculquées ?
Je pense qu’il faut que les personnes âges soient présentes dans les écoles, qu’elles viennent parler de leur expérience, des difficultés qu’elles ont affrontées. Vous avez, par exemple, en France ou ailleurs des événements de l’histoire nationale: la guerre de résistance de 1945, les personnes âgées ont expliqué aux jeunes comment ils ont survécu. On ne voit pas de personnes âgées par exemple dans les collèges. Or symboliquement la personne âgée est synonyme de notre devenir, car un jour nous aussi nous serons vieux. En Tunisie, les grands Bey, Bourguiba sont des modèles parce qu’ils représentent un idéal. C’est pareil en France, si les jeunes n’ont pas un idéal, soit ils se droguent, soit ils deviennent des terroristes.
Aujourd’hui, il faut comprendre qu’on est dans la même galère, il n’y a pas de couleur, il n’y a pas de race, si on ne prend pas soin de l’autre, on ne va pas s’en sortir.
Comment voyez-vous l’avenir de la Tunisie dans sa lutte contre le terrorisme ?
L’avenir de la Tunisie ne peut se concevoir que de deux manières : premièrement, la mobilisation de la société civile. Deuxièmement, il faut que l’Europe se mobilise et qu’elle comprenne que l’avenir de l’Europe c’est au sud de la Méditerranée, qui ne se limite pas uniquement à Marseille. Si l’Europe n’a pas compris cela, elle ne viendra pas aider pour des projets de développement, coopérer. A ce moment là, on ne s’en sortira pas ni l’Europe ni la Tunisie. Il faut que la Tunisie devienne la porte de l’Europe, et comprendre qu’on est lié par un destin commun (économique, sociologique, éthique et moral). Il faut en somme lutter contre l’ignorance et renforcer la solidarité.