Genève, Février 2014. L’opposition et le gouvernement syriens avaient tenté de négocier. Le médiateur de l’ONU, Lakhdhar Ibrahimi, n’avait rien pu faire pour rapprocher les points de vue. Le dialogue de sourds était la règle pendant deux jours et les négociations avaient échoué. A l’époque, l’opposition était sur l’offensive et le gouvernement sur la défensive.
Genève, Février 2016. L’opposition et le gouvernement syriens sont à nouveau à Genève. Le médiateur de l’ONU, Staffan de Mistura, est en train de déployer des efforts gigantesques pour éviter l’échec de Février 2014. Cette fois, c’est le gouvernement qui est sur l’offensive et l’opposition sur la défensive. Le diplomate italien aura-t-il plus de chance que le diplomate algérien, son prédécesseur ? Aura-t-on droit cette fois-ci à de véritables négociations qui aboutiraient à une solution ? Il est permis d’en douter.
Il est important de savoir que la délégation de l’opposition, constituée en Arabie saoudite, ne représente pas grand-chose sur le terrain. Elle est composée de factions soutenues par l’Arabie saoudite, la Turquie, les Etats-Unis, la Grande Bretagne ou la France, c’est-à-dire par les forces hostiles à la stratégie de la Russie et de l’Iran. Les représentants de cette opposition dite « l’opposition de Riyad » ressemblent à des généraux sans armées. Leur force, s’ils en ont, ils la doivent aux pays qui les soutiennent et dont le programme qu’ils ont pour la Syrie n’est pas forcément dans l’intérêt du peuple syrien.
Le chef de la délégation gouvernementale, Bachar al Jaafari, a provoqué la colère de l’ « opposition de Riyad », en affirmant dans une conférence de presse tenue à Genève que les membres de la délégation constituée en Arabie saoudite « représentent non pas le peuple syrien, mais les pays qui les soutiennent. »
Il n’a pas forcément tort quand on sait que Saoudiens, Turcs, Qataris ou Américains ne soutiennent pas l’opposition syrienne pour ses beaux yeux, mais pour l’impérieuse nécessité qu’ils ont à concrétiser leur objectif stratégique qui est de mettre en place un gouvernement qui tirerait la Syrie du giron russo-iranien et le placerait dans le giron saoudo-turco-américain.
Il est important aussi de savoir que la guerre sur le terrain est menée par les groupes terroristes, Etat islamique et Jabhet Annusra principalement, exclus des négociations de Genève. Leur dernière action terroriste d’envergure a été menée contre un sanctuaire chiite au sud de Damas où 45 morts et 110 blessés ont été recensés dans l’attaque-suicide de dimanche 31 janvier, revendiquée par Daech. Dans ces conditions, il est étonnant de constater que les organisateurs des négociations de Genève puissent inclure le cessez-le-feu dans l’ordre du jour.
Il est important enfin de savoir que le gouvernement syrien, qui mène l’offensive et qui multiplie les victoires contre l’opposition armée est, cette fois, dans une bien meilleure posture qu’il ne l’était en Février 2014. Sa présence à Genève a servi à montrer le degré de division et d’impuissance de l’opposition dont les chefs, confortablement installés à Riyad et à Istanbul, sont de moins en moins crédibles aux yeux même de leurs sponsors. Ceux-ci, et en particulier l’Arabie saoudite et la Turquie, se trouvent dans une situation bien frustrante. Après cinq ans de financement et d’armement non-stop, après la facilitation du passage par la frontière syro-turque de dizaines de milliers de terroristes venus des quatre coins du monde, ces sponsors se trouvent aujourd’hui dans la situation du parieur qui a misé toute sa fortune sur un tocard.
A Genève aujourd’hui, la principale exigence de l’opposition est celle de ses sponsors saoudiens et turcs : le cessez-le-feu. En effet, face à l’offensive des forces gouvernementales et de l’aviation russe, l’Arabie saoudite et la Turquie ont désespérément besoin d’un répit pour permettre à l’opposition armée de respirer et de reprendre un peu de force. Mais il est hautement improbable que Bachar al Assad et Vladimir Poutine se plieront à ce désir ardent turco-saoudien.
Février 2014, les négociations de Genève ont échoué parce que le gouvernement syrien et l’opposition armée n’avaient pu se mettre d’accord sur la nature du conflit en Syrie : guerre contre le terrorisme pour le premier, révolution populaire pour la seconde.
Février 2016, les négociations de Genève vont échouer parce que le gouvernement veut poursuivre sa guerre contre le terrorisme et « l’opposition de Riyad » tente de l’entraver conformément à la stratégie turco-saoudienne que l’intervention russe, aux côtés des forces gouvernementales syriennes, a fortement endommagée.
A ce niveau, et compte tenu de l’insoutenable futilité des négociations de Genève, on ne peut que déplorer le gaspillage de temps et d’énergie. La clé de la solution, comme tout le monde sait, se trouve sur le terrain, et plus précisément dans la destruction des organisations terroristes.