Les prisons civiles ont beaucoup changé en Tunisie, notamment après le 14 janvier. Est-ce le temps des réformes ?
Depuis que le système carcéral existe, peu de choses ont évolué. L’observatoire tunisien de la sécurité globale, en collaboration avec la fondation Hanns Seidel organise aujourd’hui un débat sur la nécessaire réforme du système carcéral en vigueur dans les prisons civiles et qui concerne au premier degré l’administration pénitentiaire.
Quel sens donner à la réforme pénitentiaire? C’est sans doute la question fondamentale posée à la politique carcérale. Pour Jamil Sayah, président de l’OTSG, la réponse est claire : pour améliorer la situation carcérale, il faut une volonté de réformer et des réformateurs. Il est vrai que le chemin est encore long pour obtenir des résultats. Cela dit, il est temps de démarrer le processus.
Il ajoute : “Aujourd’hui, la question de la réforme se pose avec acuité parce que justement, il y a une attente de la société civile par rapport à cette réforme de l’administration pénitentiaire, or dans les prisons en Tunisie, il faut qu’il y ait l’empreinte d’un Etat démocratique”.
Il poursuit: “Il y a un petit décalage entre les attentes de la réforme et son avancement. Cependant, il faut savoir qu’à un moment donné, les prisons ont été longtemps ignorées par l’administration et l’Etat. Quand on parle de prison, on parle de surpopulation carcérale, de criminalité galopante. Or tous ces aspects n’ont jamais été abordés. En tant qu’observatoire, l’OTSG a fait une étude diagnostique sur l’état des prisons et surtout sur la situation individuelle des détenus”. Le débat engagé lors de cette manifestation est arrivé à la conclusion suivante: “Il y a une ferme volonté de la part de l’administration d’entamer la réforme”. Un plan quinquennal s’impose : il faut travailler sur le plan architectural des prisons, les conditions du travail, la vie carcérale. Tels sont les thèmes abordés et débattus.
Le président de l’OTSG ajoute : “Au jour d’aujourd’hui, il y a un travail qui a démarré sur la réorganisation des prisons, notamment pour la réhabilitation de certaines prisons (Sousse, Bizerte, Gabes), sur la situation carcérale, mais ce n’est que le début”.
Fathi, un agent qui travaille à la Prison civile de Mornaguia, a mis l’accent sur les conditions des prisons avant et après le 14 janvier. Selon lui, la réalité est alarmante. A cet effet, il considère : “quand on veut parler de la réalité, prenons l’exemple du nombre de prisonniers dans une cellule (jusqu’à 97 prisonniers sont entassés dans une même cellule.).
Chaker Kooli, conseiller principal à la Direction Générale des Prisons et de la Rééducation (DGPR), a fait savoir que la surpopulation dans les prisons est une réalité : “Personne ne le nie”, indique-t-il, en poursuivant: “L’institution carcérale en assume la responsabilité, elle n’est pas la cause du problème. Mais il faut faire un diagnostic de cette surpopulation. L’étape suivante est de réduire le nombre des prisonniers dans les cellules. Une cellule ne devrait pas contenir plus de 20 ou 25 prisonniers. En tout nous avons 26 prisons”.
Sur un autre volet celui de la démocratie et du système carcéral, Yasmine Bouagga, sociologue, et chercheur au CNRS France, a mis l’accent sur l’urgence de la réforme. Selon elle, il y a une surpopulation qui est tout de même énorme et qui ne correspond pas à un besoin sécuritaire. Elle ajoute: “Il y a urgence pour des reformes pénitentiaires plus largement pénales pour repenser l’usage de la prison car la prison n’est pas l’unique peine pour réprimer l’usage des stupéfiants. On pourrait avoir recours à d’autres formes de sanctions, comme des amendes, comme c’est le cas dans la plupart des pays. Primo parce que ça coûterait moins cher à l’Etat et cela rapporterait de l’argent.
Sur le plan juridique, que fait-on dans les prisons avec les prisonniers ?
Elle répond : “Ce temps d’incarcération doit être un temps de réforme de soi-même, de reconstruction à travers une formation par exemple. Une fois libéré, l’ex-détenu sera mieux armé pour trouver un emploi et s’intégrer dans la société. C’est fondamental même si c’est difficile à réaliser. Aucun pays au monde à ce jour n’a réussi à relever le défi mais c’est l’unique chemin à suivre vers la réinsertion ».
L’administration pénitentiaire s’engagera-t-elle dans les cinq prochaines années à donner un nouveau sens à la réinsertion dans la société en proposant un ensemble d’activités et de services qui répondent aux attentes des prisonniers ? Cela dit, le chemin est encore long, mais la volonté de vouloir réformer existe bel et bien. Telles sont les conclusions des intervenants.