Seize ans après la disparition du leader Habib Bourguiba, le 6 avril 2000, le père de l’Indépendance reste un symbole auprès des siens, mais aussi auprès de plusieurs générations et dans le monde entier. Témoignages.
Mohamed Férid Chérif, ancien diplomate et auteur de plusieurs ouvrages dont Les positions diplomatiques dans l’ère bourguibienne, nous raconte: « Nous avons eu une chance inouïe d’avoir un homme comme Bourguiba qui a créé une société moderne, intelligente, une culture raffinée qui ne se laisse pas manipuler facilement. J’ai eu l’honneur de servir du temps de Bourguiba, j’étais son ambassadeur en Syrie et dans d’autres pays, j’étais un diplomate avant d’être ambassadeur.
C’était une époque extraordinaire! Je me rappelle: j’étais le Chef de la division Asie-monde arabe et bien souvent il nous convoquait quand il s’agissait de questions de relations diplomatiques. Le président Bourguiba a cette qualité extraordinaire qu’est la modestie d’écouter les gens. J’ai assisté avec lui à la rencontre de plusieurs chefs d’Etat. Mais je me rappelle d’un détail qui m’a beaucoup marqué quand Bourguiba avait dit à Gamal Abdennaceur, au cours d’une visite en 1965, évoquant le conflit palestinien: “J’ai proposé aux Palestiniens d’accepter les accords des Nations unies, alors que les Arabes avaient refusé cet accord, je vais le faire mais à une condition, il ne faut pas m’attaquer”. Tout juste après ses déclarations, l’ambassade de Tunisie en Egypte, a pris feu. Même s’ils se respectaient mutuellement, les choses avaient pris une autre tournure. »
Il poursuit: « Je peux dire également que c’était un homme merveilleux et tout le monde le sait, il a rendu d’immenses services à la Tunisie, il a tant lutté pour l’indépendance du pays. Non seulement, il était un grand communicateur et un bon politicien, mais il avait aussi une vision particulière, son regard sur l’avenir. Je pense que ceux qui ont collaboré avec lui ont tous hérité du Bourguibisme. Quand nous étions au temps de Bourguiba, nous avions connu les meilleures relations diplomatiques partout où nous allions avec tous les pays du monde. Son seul souhait était que la Tunisie soit représentée le plus dignement possible. »
Seize ans après, le leader Habib Bourguiba garde de son aura auprès d’une majorité de Tunisiens, en particulier dans la ville de Monastir, son fief natal.
Par ailleurs, Mohamed Fathi Baouab, le secrétaire général de l’association Forum de Monastir confie: « Je fais partie de la génération bourguibienne. D’ailleurs, je me souviens que ses visites à Monastir étaient exceptionnelles. Je me rappelle en 1964, quand nous étions étudiants, nous avions exprimé notre amour commun à la patrie, d’ailleurs nous avions prêté serment. C’était la belle époque, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Il faudrait qu’on ravive notre engagement, dans le sens d’aimer son pays et je suis fier d’être Bourguibiste. Je pense que les nouvelles générations commencent à comprendre qui est Bourguiba, il est temps de ressusciter sa mémoire, parce que ce qui leur manque aujourd’hui est la présence d’un leader. Cependant, ceux qui s’opposaient à Bourguiba, en le décrivant comme un non démocrate, se trompaient sur toute la ligne. Au contraire, c’est un grand démocrate, qui a milité pour l’égalité homme-femme, mais aussi pour la généralisation de l’enseignement pour tous. On se trouvait tous sur un pied d’égalité, qu’on soit riche ou pauvre, ce qui nous a conduit à être un peuple solidaire, à cette époque. »
« Il a été un bon président de la République », affirme Habib El Oued, chercheur dans le domaine médical à Monastir. Et de poursuivre: « Habib Bourguiba a longtemps milité pour la dignité des Tunisiens et pour la libération de la Femme tunisienne. Sa compétence en matière de politique nationale et extérieure est la plus louée. Prenons le cas de l’éducation, il n’a raté aucune occasion de saluer les efforts des élites de la Tunisie, car il considérait que ce sont elles qui ont contribué à la construction de l’Etat. Mais je n’oublierai pas sa phrase : “Nous n’avons pas de ressources naturelles, mais nous avons de la matière grise, c’est là où réside notre réussite.”
Qui est Bourguiba?
Bourguiba est né le 3 août 1903 à Monastir, fils de Ali Bourguiba et de Fatouma Khefacha, il est le dernier de la fratrie. Durant son enfance, il passait son temps en compagnie de sa mère, sa grand-mère et ses sœurs, Aïcha et Nejia, ce qui lui a permis de comprendre combien les femmes travaillaient durement et de constater les inégalités entre les hommes et les femmes. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles il a lutté pour que les femmes aient leur propre droits et statut inscrits indélébilement dans le Code du statut personnel. Avocat de formation, son retour à Tunis fut marqué par le début de son entrée en politique, où il rédigea des articles virulents contre les autorités françaises et il créa le parti Destour.