L’indépendance de la Banque centrale de Tunisie (BCT) est un sujet d’actualité. En effet, le nouveau statut de la BCT fera aujourd’hui l’objet d’une séance plénière à l’Assemblée des représentants du Peuple (ARP).
« Que fera donc la BCT de son indépendance ? Celle-ci ne risque-t-elle pas de la mettre en dehors de la sphère économique ? », s’est interrogé hier Ahmed Al Karm, président de l’Association professionnelle tunisienne des banques et des établissements financiers, et ce, lors d’un débat sur « l’évaluation des politiques publiques » tenu hier à Tunis à l’IACE.
Proposé dans le cadre de la réforme du système financier et bancaire, l’objectif du nouveau statut de la BCT consiste essentiellement à lui permettre d’assurer la stabilité financière. Il s’agit également de lui assurer une meilleure autonomie. Le nouveau statut prévoit que le gouverneur de la BCT soit nommé par l’ARP (vote) pour un mandat de six ans.
Le nouveau statut propose également la création, au sein de la BCT, d’un Comité de surveillance pour se protéger contre les risques bancaires et la mise en place du crédit bureau, un service assurant le recensement des crédits octroyés par les établissements de crédit.
Une fois adopté, le nouveau statut de la BCT devrait assurer une meilleure stabilité financière de tout le système financier et bancaire. Il s’agit essentiellement d’assurer la stabilité du dinar, des prix pour mieux maîtriser l’inflation et la modernisation des mécanismes de la politique monétaire comme notamment le taux de marché monétaire (TMM).
Toutefois, le projet de loi relatif au nouveau statut de la BCT, en débat en ce moment à l’ARP, a été la cible de plusieurs critiques. L’observatoire tunisien de l’économie a déjà formulé plusieurs recommandations en vue d’apporter les améliorations nécessaires à ce projet de loi.
L’Observatoire tunisien de l’économie a, dans une récente étude, présenté ses recommandations dans une note intitulée « Indépendance de la BCT : enjeux et impact sur le système financier tunisien ». Voici les principales recommandations de l’OTE :
- Ne pas mettre en place l’indépendance de la BCT vis-à-vis de l’exécutif au vu de l’inefficacité de cette mesure à atteindre l’objectif de stabilisation des prix.
- Ne pas permettre la rémunération des réserves obligatoires.
- Inscrire la délégation du pouvoir de création monétaire aux banques commerciales dans la loi et en exiger le suivi, et notamment le montant des revenus provenant de ce droit de seigneuriage cédé.
- Interdire la sortie des capitaux à court terme (code d’investissement) tout en rétablissant le régime de change encadré basé sur un panier de devises.
- Interdire toute libéralisation totale des taux d’intérêt et renforcer la loi sur les taux d’intérêts excessifs.
- Conserver le système d’administration des prix des denrées de base pour protéger le pouvoir d’achat des ménages tunisiens.
- Au vu du pouvoir excessif déjà cédé aux banques commerciales à travers la délégation du pouvoir de création monétaire, réduire le nombre des (ex-)banquiers au sein du Conseil, voire supprimer leur représentation.
- Réfléchir sur la possibilité de la nomination d’un député membre de la commission des finances au sein du conseil d’administration de la BCT afin d’améliorer le contrôle démocratique tout en s’imprégnant de l’expertise de l’ARP
- Annuler l’article 49 du projet de loi qui instaure la possibilité de nomination de « conseillers de l’ombre » hors de tout contrôle démocratique.
- Annuler l’externalisation de l’audit de la BCT par des entreprises privées (décidée en 2006) et la remplacer par l’audit externe de la Cour des Comptes (chapitre 3 du projet de loi).
- Interdire toute communication d’informations confidentielles et sensibles, et ce, même au nom de la coopération internationale.
- La règle doit être au minimum qu’aucune information confidentielle et sensible, et non portée à la connaissance des pouvoirs régaliens tunisiens, ne doive être partagée avec des organisations étrangères.
Zied Lakhdhar, député du Front populaire, indique, lors de la séance plénière à l’ARP, que: “Beaucoup de questions demeurent sans réponse. Mais la question que je me pose ajoute-t-il est : pourquoi faut il changer cette loi ? Un autre élément : peut-on parler d’indépendance vis-à-vis du gouvernement ? Je veux juste rappeler que le statut de la BCT a été adopté depuis l’indépendance de la Tunisie. Mais ce qui est essentiel je pense c’est qu’on doit parler d’indépendance vis-à-vis des institutions internationales telles que le FMI, la banque mondiale…
Ce dont nous avons besoin c’est d’une institution qui aura la responsabilité de relancer l’économie du pays et non une institution soumise aux pressions des institutions internationales.
Karim Hellali, député d’Afek Tounes s’est interrogé quant à lui : comment garantir que les décisions de la Banque Centrale soient prises en toute indépendance ? C’est le fond du problème. Il faut trouver un équilibre entre la nécessité que la Banque centrale soit éloignée des tiraillements et des clivages politiques du gouvernement et de garder un droit de regard sur ces faits et gestes. Mais l’article 3 de la loi en question ne précise pas s’il s’agit d’une entreprise ou d’une institution nationale.