En Tunisie, le recours de plus en plus fréquent au financement externe et la dégradation des ratios d’endettement qui en résulte commencent à devenir alarmants.
Une dette publique qui passe de 25 640 MDT en 2010 représentant 40% du PIB, à 46 108 MDT en 2015, soit 54% du PIB, soulève la problématique du risque d’insoutenabilité chez certains. Sur ce point, Moez Labidi, professeur d’économie, spécialiste des questions monétaires et financières, nous dresse quelques réflexions.
La problématique de la soutenabilité de la dette est très complexe. Elle est à la fois une question de solidité de la croissance, de composition de la dette, de détermination politique, de maturité citoyenne et d’environnement international.
En ce qui concerne la solidité de la croissance, Moez Labidi a affirmé que le niveau du taux de croissance est déterminant pour trancher sur la soutenabilité de la dette. D’ailleurs, plus le coût de l’emprunt (taux d’intérêt) dérape par rapport au taux de croissance, plus le surendettement serait au rendez-vous.
Toutefois, il a indiqué que la croissance est faible en Tunisie, mais les taux d’intérêt offerts sont très élevés, dépassent même les 5% sur 10 ans, malgré la faiblesse des taux sur le marché international pour la même maturité (Etats-Unis : 1.76% ; Japon : -0.085% ; Allemagne : 0.13% ; France : 0.475%).
Dans ce sens, il a souligné que les garanties américaines ou japonaises et le recours fréquent au financement des institutions multilatérales (FMI, BM, BAD …) à des taux modérés ne peuvent que repousser le spectre de la crise de la dette. Mais, la situation pourrait, selon ses propos, se compliquer si, d’une part, la reprise se consolide aux Etats-Unis, poussant ainsi les taux longs à la hausse, et d’autre part, si la Tunisie ne déserte pas le terrain de la croissance anémique.
S’agissant de la composition de la dette, l’expert a estimé que plus la part de la dette en devises étrangères est importante, soit le 2/3 du total de la dette pour 2016, plus le risque d’insoutenabilité sera élevé, surtout lorsque les activités exportatrices sont en difficulté, comme c’est le cas tunisien. Ainsi que, lorsque l’une des principales devises de référence se retrouve sur un trend haussier, comme c’est le cas, aujourd’hui, pour le dollar à l’issue des signes positifs de reprise qui émergent de l’économie américaine.
De ce fait, M. Labidi a indiqué que la chute de l’épargne nationale renforce de plus en plus le recours au financement en devise.
Quant à la détermination politique, la soutenabilité de la dette est, d’après ses dires, corrélée positivement à la capacité du gouvernement à engager les réformes structurelles. D’où, la lenteur des réformes, comme en témoigne le spectacle de l’ARP, qui ne peuvent que raviver la flamme de l’insoutenabilité.
Revenant sur la question de la maturité citoyenne, le professeur a déclaré que la fièvre revendicative et son caractère dévoreur de finances publiques, qui a fini par accaparer près de 45 % du budget pour le poste salaires (recrutement et majorations salariales), alimente le scénario de l’insoutenabilité.
Toutefois, plus les thèses populistes ont le vent en poupe, dans les médias, dans le monde syndical et au sein de l’ARP, plus l’insoutenabilité est à nos portes.
Pour l’environnement international, il n’a pas manqué de souligner que la volatilité des principales devises internationales et la qualité de la croissance chez les partenaires de la Tunisie, sont aussi déterminantes pour la soutenabilité de la dette.
Ainsi, l’incapacité de la Zone euro, premier partenaire commercial de la Tunisie, à sortir des méandres de la crise de la dette souveraine, conditionnera la qualité de la croissance en Europe et finira par peser dans la balance des risques du côté de l’insoutenabilité de la dette extérieure.
Au final, Moez Labidi a fait savoir que tant que la croissance demeure atone, les agences de rating prolongent notre séjour dans le speculative grade land, le stock des réserves en devises et le cours du dinar demeurent sous pression, la symphonie populiste est à la musique sur toutes les ondes pour bloquer les réformes tout en réclamant un nouveau modèle de développement, et tant que le gouvernement brille par ses reculades, gangrénantes pour les finances publiques, face à la montée du lobbying (fonctions libérales, barons de l’import/ export, professionnels du tourisme, etc.), le spectre de l’insoutenabilité de la dette extérieure continuera de planer sur l’économie tunisienne.
« Bref, la dette est encore soutenable. Certes, pas pour très longtemps si le statu quo persiste. Mais ce qui est insoutenable est plutôt l’incapacité d’un gouvernement issu d’une coalition large à faire respecter la loi et à déclencher une vraie dynamique de réformes », conclut-il.