40 ans de coopération Tunisie – Union européenne : Quel bilan ? Quels enseignements à tirer ? Quelles sont les perspectives de cette coopération ? Quels en sont les points focaux ? Quelles sont les appréciations des différentes parties de ce processus de partenariat ? L’économie tunisienne est-elle prête pour une avancée en matière d’intégration et d’ouverture plus accentuée ? Telles étaient les problématiques débattues hier, lors d’un dîner-débat organisé à Tunis à la veille du Forum de l’Economiste Maghrébin.
Pour donner un débat croisé autour du bilan de cette coopération, actuels ministres, représentant du patronat tunisien, anciens responsables, entrepreneurs et représentants d’institutions financières ont apporté leurs vision et témoignages sur les accords signés entre la Tunisie et l’UE et livré leurs opinions quant à l’ALECA, le nouvel accord actuellement en négociation entre les deux parties.
Ouvrant le débat, le directeur de l’Economiste Maghrébin a rappelé que l’UE propose à la Tunisie à travers l’ALECA un statut privilégié. Pour lui, cet accord devrait s’inscrire dans le cadre d’une vision globale au-delà des aspects commerciaux et il doit se distinguer par sa dimension financière et politique et être soutenu par un véritable partenariat de mobilité. « Cet accord doit être un vecteur de développement et de coprospérité pour l’ensemble de la région Euromed. Il doit récompenser les efforts exceptionnels fournis par la Tunisie sur le plan politique et démocratique en matière de droits de l’Homme. », a insisté M. Mechri.
Présentant un bilan positif dans anciens accords conclus entre la Tunisie et l’UE, Laura Baeza ambassadeur de l’Union européenne en Tunisie, a pour sa part constaté que les relations entre les deux parties se sont cantonnées à leur dimension commerciale et économique et que les questions plus sensibles du dialogue politique sont demeurées partiellement éludées jusqu’en 2011, date de la révolution tunisienne.
Mme Baeza a affirmé que le démarrage des négociations de l’ALECA témoigne d’une ligne claire tracée par la Tunisie dans ses relations avec l’UE. « La Tunisie a plus à gagner qu’à perdre de l’adhésion au grand marché unique de 500 millions de consommateurs que nous lui proposons. Cela suppose que des mesures protectrices et transitoires soient agréées ensemble pour les secteurs les plus fragiles », a-t-elle dit.
Présentant un regard critique, Yassin Brahim, ministre du Développement et de la Coopération internationale, a indiqué que, sur le plan économique, l’Accord d’association se heurte à ses propres limites. « L’accord n’a pas prévu de mesures spécifiques et urgentes. L’UE doit rééquilibrer sa politique d’aide. Nous avons besoin d’un soutien budgétaire. », a-t-il dit.
L’industrie tunisienne est-elle aujourd’hui mieux armée pour passer à un degré supérieure de coopération avec l’UE ?
Pour Mme Wided Bouchamaoui, la présidente du patronat tunisien, l’accord d’association entre la Tunisie et l’UE a eu des impacts positifs sur l’industrie tunisienne. Cependant aucune évaluation de cet accord n’a été faite pour avancer vers un nouvel accord. « On n’a pas une évaluation claire, nette et chiffrée. Il faut engager des études d’impact de l’ALECA sur plusieurs secteurs clefs de l’économie tunisienne. Les PME du secteur des services, à titre d’exemple, ne sont pas encore prêtes », a-t-elle dit. Et d’ajouter que la libre circulation des personnes est un volet important qu’il faut bien négocier dans le cadre de l’ALECA pour avoir les mêmes chances de compétitivité entre les entreprises tunisiennes et européennes.
En charge du ministère des Finances en 1976, l’ancien ministre Mansour Moalla a considéré que l’Accord d’association avec l’UE est une véritable déception pour nos relations avec l’Europe. « On s’attendait à une avancée beaucoup plus rapide et une contribution plus efficace au développement. Il y a peu de résultats ! C’est un accord suspect. En 1995, il y avait une sorte de complicité avec un régime peu démocratique », a-t-il regretté.
Apportant son témoignage sur les négociations, les accords de coopération et d’association signés avec l’UE, Tahar Sioud, ancien ministre, n’a pas manqué de rappeler que l’UE avait accordé à la Tunisie une période de grâce de 12 ans pour se mettre à niveau avant l’application de l’accord d’association. Or les mesures d’accompagnement prévues dans l’accord n’ont pas été appliquées. « C’est pourquoi, certains parlent de non-réussite de cet accord », a-t-il reconnu.
« Quelles sont les conditions qui doivent être réunies pour réussir ensemble ? Qu’aurait dû faire l’Europe ? », s’est interrogé Jalloul Ayed, ancien ministre des Finances, qui a affirmé que l’UE a raté une occasion en or d’apporter à la Tunisie un appui fort pour mobiliser des montants beaucoup plus importants.
Pour Ridha Ben Mosbah, ministre conseilleur auprès de la Présidence de la République et chargé des négociations de l’ALECA, négocier n’est pas signer. Pour lui, ce qui compte le plus c’est commencer à réfléchir. Le ministre n’a pas manqué, dans ce même ordre d’idées, d’insister sur l’importance de la refondation de l’Etat, mettre en place un projet social inclusif et assurer la continuité de l’Etat.
Le ministre a saisi l’occasion pour affirmer que les urgences consistent aujourd’hui à combattre le chômage et le sentiment d’exclusion et accélérer le développement régional. « Nous voulons un soutien qui se décline en plusieurs formes », a-t-il conclu son intervention.