Une bonne majorité de nos jeunes ont un engouement considérable pour l’entrepreneuriat. Cependant, le paysage entrepreneurial souffre de quelques défaillances en Tunisie. A l’occasion d’Enactus Tunisia National Competition, tenue récemment les 28 et 29 juin, Khaoula Khedimy Boussama, President & CEO de Enactus Tunisie est revenue sur la compétition et sur les difficultés auxquelles les entrepreneurs font face. Interview…
leconomistemaghrebin.com : Pourriez-vous nous présenter le programme Enactus ?
Khaoula Boussama : Enactus Tunisie est une association qui a été créée tout récemment en mars 2016. Mais bien avant sa création, c’était un programme qui a été lancé par le Centre des jeunes dirigeants d’entreprises de Tunisie (CJD Tunisie), en 2009 sous le nom de SIFE avant de changer de Brand en 2012. Nous avons organisé six éditions avec le CJD.
Enactus est dédié aux étudiants, business leaders et aux universitaires qui ensemble essaient de contribuer au progrès économique et social mais aussi environnemental dans le monde entier. Cela est réalisable à travers l’action entrepreneuriale. En fait, dans le cadre d’Enactus les étudiants regroupés en équipes (Chaque équipe représente une institution universitaire publique ou privée) créent ou développent des projets d’entrepreneuriat social pour leur communauté.
Une fois que le projet, développé ou créé par les étudiants commence à donner des résultats, l’équipe se présente à une compétition dont le jury est composé de chefs et dirigeants d’entreprise. Le gagnant partira représenter son pays à la compétition internationale qui à chaque fois, est organisée dans un pays différent.
Si je prends l’exemple de l’année dernière, l’événement s’est déroulé à Johannsburg en Afrique du Sud et cette année il va se dérouler à Toronto.
Et si on parlait du bilan d’Enactus depuis qu’il a débarqué en Tunisie ?
Pour moi, il s’agit d’un bilan positif. On a commencé avec une session pilote pendant l’année universitaire 2009/2010 avec sept équipes. Et c’était vraiment une réussite. Et nous étions agréablement surpris de voir qu’il y a eu un engouement de la part des étudiants par rapport à ce nouveau concept. Depuis cette édition, le programme n’a pas cessé de grandir. Aujourd’hui nous avons 35 équipes qui sont éparpillées sur toute la Tunisie. Malheureusement, nous n’avons pas d’équipe dans les régions d’intérieures et dans le sud, raison pour laquelle nous envisageons d’y aller mais il nous faut des fonds assez importants et une structure administrative assez robuste pour pouvoir nous implanter dans les régions, pour pouvoir recruter des étudiants et des universitaires.
Nos étudiants ont pu réaliser plus de 75 projets dans le domaine de l’entrepreneuriat social avec un impact direct sur plus de 550 personnes et un impact indirect sur 1950 personnes.
Un autre motif de satisfaction pour nous est de constater qu’aujourd’hui des ingénieurs et des techniciens pur et dur maîtrisent désormais les concepts relatifs à l’entrepreneuriat et se sont habitués à des termes économiques. C’est extraordinaire car nous avons pu les sortir de leur cursus universitaire traditionnel pour les emener vers la dimension entrepreneuriale, ce qui constituera un bagage supplémentaire pour eux, pour qu’ils deviennent de meilleurs entrepreneurs demain.
N’empêche qu’un grand nombre d’étudiants persistent encore à rêver de décrocher un emploi stable à la fonction publique, ce qui n’a rien à voir avec la créativité et l’esprit entrepreneurial
En effet Enactus n’est pas un programme ouvert à tout le monde. Il y a des personnes qui peuvent comprendre et identifier que ce programme peut leur apporter énormément de choses par rapport à leur personnalité, au développement de leur capacité et de leur compétence.
Heureusement, aujourd’hui le virus Enactus a pris dans beaucoup de nos universités et surtout dans les universités les plus importantes. Je tiens aussi à dire que 95% de nos diplômés qui ont suivi le cursus Enactus ont été embauchés. Nous avons aussi des Succes Story remarquables, telle que la Start Up Iris Technologie de Khaled Bouchoucha qui a commencé avec Enactus ENIM.
Force est de constater qu’il existe un décalage entre les besoins de l’entreprise et la formation reçue à l’université. Pourriez-vous nous en dire un peu plus.
Nous le savons déjà. Il y a inadéquation formation/ emploi mais d’un autre côté, il existe de bon éléments qui pourraient émerger à travers ce genre de programme et constituer une valeur ajoutée pour les entreprises tunisiennes, pour la Tunisie, mais il faut trouver le moyen de les coacher et les encadrer. Nous en tant qu’ Enactus, nous avons organisé deux éditions de Careers fair ce qui permet aux entreprises participantes d’identifier les meilleurs éléments du réseau Enactus. Cela permet aux étudiants de trouver la bonne entreprise et pour que l’entreprise trouve le bon profil. Notre système d’éducation actuel ne permet, malheureusement, pas aujourdhui d’avoir de jeunes diplômés prêts à l’emploi. Donc, il faut absolument pousser les jeunes diplômés à développer leurs compétences depuis les années de faculté pour pouvoir être embauchés rapidement. Enactus propose un enseignement novateur et est un excellent outil qui permet aux étudiants de vivre l’expérience entrepreneuriale dans toutes ces étapes : de la conception du projet jusqu’à sa réalisation. Ça c’est très important car le jour où ils seront diplômés ils seront prêts grâce à toute la capacité qu’ils ont et ce quelque soit leur choix : l’entrepreneuriat ou l’intrapreneuriat.
De l’autre côté, il y a des étudiants qui sont complètement déboussolés parce que leur formation universitaire ne leur permet pas d’accéder rapidement au marché de l’emploi pour manque de formation ou pour formation inadaptée.
Comment évaluez-vous le paysage entrepreneurial en Tunisie ?
Honnêtement je suis très déçue que les constituants ont éliminé le principe du libre entrepreneuriat lors de la rédaction de la Constitution de 2014 alors que le droit à la grève est consacré. Autre point, aujourd’hui si je veux créer une entreprise, je dois passer par un nombre faramineux d’administrations et d’autorisations, chose inadmissible dans un pays qui traverse une grave crise économique et où il faudrait plutôt faciliter les procédures administratives relatives à la création et au développment des entreprises. Tenez-vous bien, aujourd’hui par exemple, pour pouvoir lancer une boulangerie moderne, il faut obtenir dans les 70 autorisations de différentes administrations. De même, tout notre système est basé sur la présomption de mauvaise foi. Chaque personne est présumée de mauvaise fois jusqu’à preuve du contraire.
Chaque fois qu’un investisseur étranger se manifeste , on lui met les batons dans les roues avec toutes les lourdeurs administratives et en plus on lui oppose le plus souvent la question de souverainneté. En 2016, on est encore là alors que de nos jours les mentalités ont changé même sur la notion de souveraineté. Je donne un exemple, Dubai a donné ses terres en concession et le résultat est là. Pensez vous que l’investisseur emportera les terres le jour de la fin du contrat ?
Malheureusement aujourd’hui il n’ ya pas de volonté politique franche qui va vers l’ouverture et encourage l’entrepreneuriat. Seuls l’entrepreneuriat et l’action entrepreneuriale créent de l’emploi, de la valeur et de la richesse et contribuent à la cohésion sociale. Je précise que je parle de l’entrepreneuriat responsable et non de l’entrepreneuriat sauvage.
Et s’il y a des réformes à faire ?
Je suis pour l’ouverture. La Tunisie est un petit pays avec moins de 11 millions d’habitants avec une magnifique situation géographique et une ouverture sur l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient. Nous refermer sur nos frontières est la dernière chose à faire.
Il faut miser sur la carte de l’ouverture avec une petite protection. Aujourdhui, il est aberrant qu’il n’y ait pas de convertibilité totale du dinar, qu’il y ait encore une allocation touristique limitée. Nous avons besoin de réformes profondes telles que la réforme fiscale notamment celles relatives aux accomptes, l’amélioration du système financier et celle du code d’investissement, la réforme administrative, la lutte contre la corruption, la révision du code du travail, voyez ce qui s’est passé en Italie et ce qui se passe aujourd’hui en France.
Par ailleurs, nous ne sommes pas en train de saisir les opportunités qui s’offrent à nous pire encore nous sommes en train de perdre des partenaires très importants particulièrement la Chine et les Emirats qui pourraient nous aider à résoudre une grande partie de nos problèmes.
On a tout pour sortir de la crise et pour réaliser un excellent taux de croissance mais il faut de la volonté politique et un message fort. Il nous faut surtout nous retrousser les manches et nous mettre au travail sérieusement.