Et si le Brexit n’était pas le désastre qu’on annonçait ? Si la première onde de choc du vote britannique pour quitter l’Union européenne a ébranlé les opinions et les marchés financiers, une humeur plus pragmatique semble maintenant s’installer. Les ardeurs vindicatives des technocrates de Bruxelles semblent s’être atténuées et des analyses politiques plus subtiles commencent à émerger.
Il est vrai qu’au lendemain de ce vote historique, l’ambiance était plutôt celle d’un lendemain de fête bien douloureux, une gueule de bois politico-financière. Des marchés complètement en déroute, face à un événement dont la probabilité avait été sous-estimée et une classe politique britannique en pleine débandade, avec en prime la démission du Premier ministre.
Mais c’est surtout le chef de file du groupe Brexit qui jette l’éponge, face au cataclysme qu’il avait provoqué et sous-estimé. Le parti conservateur, qui venait de s’assurer une majorité historique lors des dernières élections législatives, était sur le point d’imploser. Un consensus s’est alors vite formé autour d’un projet : Brexit veut dire Brexit.
Les « remainers » ont assimilé le résultat du vote populaire et c’est au prochain Premier ministre, quelles que fussent ses convictions avant le référendum, de mener les négociations pour finaliser la sortie du bloc européen. Un consensus semble aussi se porter sur la personnalité la plus indiquée pour mener à bien cette tâche délicate.
Mercredi, en effet, Theresa May, l’actuelle ministre de l’Intérieur, devrait être nommée par le Chairman du Parti conservateur, Premier ministre. Alors qu’initialement le passage de relais était prévu pour octobre, voilà que le calendrier s’accélère et que l’horizon se dégage. Le profil de Theresa May est aussi un des plus intéressants. Elle apporte une riche expérience gouvernementale avec, surtout, un record de longévité au portefeuille de l’Intérieur; mais c’est sa position vis-à-vis de l’Europe qui lui donnera sa force de frappe. Officiellement, faisant partie du camp « remain », elle ne s’est pas impliquée publiquement dans la campagne.
Tout en restant fidèle à son chef de gouvernement, David Cameron, elle a cultivé une ambiguïté pour ne pas couper les ponts avec la base « leave » du parti conservateur. Son accession au pouvoir cette semaine prouvera sa grande qualité de politicienne, capable de naviguer dans des tendances opposées. Son positionnement « remain » light et surtout sa volonté exprimée, en tant que ministre de l’Intérieur, de réduire l’immigration en font la candidate idéale pour la prochaine étape.
L’objectif de cette prochaine étape est on ne peut plus simple : obtenir un accès aussi large que possible au marché commun, tout en gardant un certain contrôle sur l’immigration. L’idée que le vote Brexit est un vote anti-immigration n’est que partiellement vraie. L’absence de contrôle sur cette immigration était le cœur du problème. Les négociations britanniques vont porter sur ce fameux cap, quitte à le compenser financièrement.
Si le camp UK semble désormais uni dans cette tâche, ce n’est pas forcément le cas du camp européen. On décèle déjà deux discours opposés. D’un côté, le discours de l’establishment et des technocrates de la Commission européenne, qui n’hésitent pas à utiliser des termes comme punition et leçon, afin de dissuader les futurs prétendants à une sortie. De l’autre côté, des politiques qui semblent être plus au fait des attentes de leur électorat et qui appellent à revoir le fonctionnement de l’Europe actuelle. L’intégration pressante et pressée ne fonctionne pas pour tout le monde.
Les pays périphériques ne peuvent ni recourir au déficit budgétaire, ni à l’action monétaire, ils peuvent juste observer leur jeunesse émigrer vers des contrées plus prospères. Plus récemment, l’Italie, qui fait face à une crise bancaire due à un taux élevé de créances accrochées, s’est vu refuser par Berlin de mettre en place un plan de sauvetage, car la nouvelle réglementation bancaire exige une résolution par les créanciers qui doivent absorber les pertes. L’Italie étant l’Italie, ces créanciers sont en fait de petits porteurs qui détiennent 190 milliards d’euros d’obligations bancaires. Un ras-le-bol contre un fédéralisme à outrance est donc en train de s’installer, ce qui confortera les Britanniques dans leur approche.
Un bon deal de sortie pour le Royaume-Uni serait en fait une bonne chose pour l’Europe et ce pour trois raisons principales. La première est que la place UK a toujours été une place à part en Europe, un pied dedans, un pied dehors. Ne faisant partie ni de la zone euro, ni de l’espace Schengen, le Royaume-Uni a, en fait, entamé sa sortie en 1992, lorsque John Major a choisi un opt-out de l’euro. Deuxièmement, une mauvaise sortie affaiblirait le royaume et le bloc européen et prouverait que l’UE est au mieux une prison, sinon une mafia d’où on n’en sort que mort ou mutilé. Alors que d’autres pays, comme la Grèce, seraient probablement amenés à quitter la zone euro, il faudra démontrer que ces transitions peuvent être faites en douceur.
Finalement, le cœur de cette négociation est la City de Londres. Certes, la City a su profiter de son appartenance européenne, mais l’émergence de Londres comme place financière mondiale précède largement l’adhésion du Royaume-Uni.
La City a connu sa transformation moderne dans les années soixante, lorsque le gouvernement américain avait décidé de taxer les transactions sur les titres étrangers. Les banques américaines s’étaient alors massivement déployées dans la City.
D’autre part, les flux de capitaux chinois, russes et moyen-orientaux destinés à Londres et au UK cherchent d’abord le dynamisme et la sûreté de la plateforme juridico-financière de la City. L’Europe aurait donc tout à gagner à ancrer cette place financière dans son espace !
Le vote Brexit est une mésentente politique ; il est dans l’intérêt de tout le monde d’en faire une mésentente cordiale.