Une motion parlementaire était déposée cette semaine, suite à la sortie du rapport d’enquête sur l’Irak, accusant l’ancien Premier ministre d’avoir utilisé une « tromperie » afin de justifier l’invasion de l’Irak.
Cette motion, déposée par le porte-parole des Conservateurs, David Davis, avait mobilisé certains députés travaillistes, des conservateurs, du Parti national écossais, du Parti Vert et du Plaid Cymru (Parti Gallois). Depuis, une alliance a été scellée entre l’ensemble des députés britanniques en vue de déclarer l’ancien Premier ministre, Tony Blair, coupable d’avoir trompé le Parlement lors du débat entourant les motifs d’une intervention militaire en Irak.
Au cours d’une conférence de presse en date du 6 juillet 2016 donnée par John Chilcot, président du comité d’enquête, ce dernier avait présenté les circonstances entourant l’invasion de l’Irak et leurs conséquences. Nous pouvons résumer l’intégralité de ce rapport dans ses points clés :
- Le Royaume-Uni avait choisi de se joindre à l’invasion avant que les options de désarmement pacifique n’aient été épuisées.
- L’ancien Premier ministre avait exagéré la menace que Saddam Hussein représentait à l’époque. La puissance militaire irakienne était reconnue comme étant menaçante, mais cette certitude n’était pas, toutefois, corroborée par des preuves.
- Huit mois avant l’invasion de l’Irak, et même bien avant que les inspecteurs de l’ONU n’aient achevé leur travail d’inspection, Tony Blair avait écrit à George W. Bush, qu’il lui porte son soutien sans réserve pour le projet de guerre.
- Décision prise sans un aspect formel, sans motifs fondés et sans le support légal d’un tribunal de reconnaissance internationale.
- L’Administration Bush a complètement ignoré les conseils sur la planification d’après-guerre transmis par le Royaume-Uni.
- Les services secrets britanniques ont développé des informations viciées et erronées sur les prétendues armes de destruction massive irakiennes.
- L’armée britannique était mal équipée pour un engagement militaire à long terme.
- Les relations diplomatiques avec les USA n’auraient pas été affectées si le Royaume-Uni avait décidé de ne pas prendre part à cette guerre.
- Blair avait ignoré l’avertissement concernant l’Irak post-invasion. Entre le début de 2002 et mars 2003, l’ancien Premier ministre avait été informé que la situation en Irak pourrait dégénérer en guerre civile à la suite d’une intervention militaire.
- Absence d’une stratégie post-invasion. Chose certaine, Tony Blair n’avait pas nommé un responsable pour planifier une stratégie d’après-guerre.
- Après la chute de Saddam Hussein, le Royaume-Uni n’avait pas d’autorité dans l’élaboration des politiques sur le terrain. Complètement décalés du processus décisionnel, les Britanniques n’avaient pas d’influence sur les décisions prises par Bremer, l’ambassadeur américain à Bagdad à l’époque. Des décisions qui se sont avérées catastrophiques sur l’avenir de l’Irak, du fait qu’elles avaient provoqué l’insurrection dans la communauté sunnite.
Quelles seront les répercussions à la suite de ce rapport?
Auparavant, et au cours d’une interview télévisée sur la chaîne CNN, le 25 octobre 2015, Tony Blair avait ouvertement manifesté son regret pour l’invasion de l’Irak. En s’excusant pour la première fois sur les divers aspects de cette guerre, l’ancien Premier ministre reconnaissait la contribution de cette invasion dans la montée de Daech et l’instabilité dans la région. Sachant que le rapport Chilcot n’allait pas être en sa faveur, Tony Blair avait voulu anticiper les répercussions de cette enquête et décidé de présenter des excuses en direct quelques mois avant la sortie du rapport.
Étant le principal responsable de cet échec, l’ancien Premier ministre pourrait se voir interdire d’exercer dans la fonction publique et même être suspendu de ses fonctions au Conseil privé. D’ailleurs, il risque de devoir faire face à des poursuites civiles intentées par les familles des soldats qui ont péri dans cette guerre pour abus de pouvoir et pour avoir entraîné le pays dans une guerre non fondée et coûteuse. En revanche, le rapport Chilcot ne se prononce pas sur la légalité des actes et décisions prises par le gouvernement britannique, ce qui signifie que l’ancien Premier ministre ne sera pas inculpé pour avoir transgressé la loi.
Faut-il se rappeler que George W. Bush avait solennellement avoué, en 2003, au ministre des Affaires étrangères palestiniennes au cours du sommet israélo-palestinien à Sharm le Sheikh en Egypte que Dieu lui avait demandé de mettre fin à la tyrannie en Irak ? ! Une échappatoire américaine classique pour justifier des crimes de guerre. Toujours est-il que l’on ne peut s’empêcher de s’interroger sur le principe de la responsabilité dans les démocraties occidentales.
Ambiguïté du concept « Accountability » chez les vieilles démocraties
L’invasion illégale provoquée par les E-U et leurs alliés d’une nation souveraine avait causé la mort de 500 mille vies irakiennes de 2003 jusqu’à 2011. Cela dit, verra-t-on un jour le président américain et le Premier ministre britannique traduits devant le Tribunal pénal international de La Haye pour crimes de guerre et contre l’humanité? Peu probable pour ne pas dire impossible, et ce, pour deux raisons.
Le principe démocratique occidental est fondé sur l’impunité internationale pour ses leaders
En d’autres termes, l’élu issu des élections présidentielles ou législatives dans les vieilles démocraties n’est comptable de ses actes, durant l’exercice de son mandat, qu’à l’échelle nationale. Par contre, il jouit de l’impunité totale quand il s’agit de politiques adoptées sur la scène internationale parce qu’elles sont considérées comme émanant d’une Nation dans sa globalité et non pas d’un leader bien précis. D’où la difficulté pour la communauté internationale de poursuivre ce genre d’individu. Il en va tout autrement quand il s’agit d’un État qui ne pèse pas lourd sur la scène internationale.
La justice internationale est une utopie
Sous un regard plus réaliste, le système politique international est fondamentalement biaisé, puisqu’il n’existe pas une autorité supranationale pouvant appliquer les règles sur les États membres. De plus, les grandes puissances agissent en fonction des desiderata de leurs lobbies.
On se rappelle dans ce contexte la fameuse citation du journaliste et écrivain Robert Scheer : « Que peuvent faire les lobbies des industries militaires et leurs alliés en temps de paix? C’est d’inventer des guerres pour combattre à l’étranger, même si elles n’ont aucune raison d’être. »