La récente salve de publication des statistiques de la croissance et de l’emploi confirme encore une fois les difficultés de l’économie tunisienne à s’extirper des gouffres d’une croissance atone : un taux de croissance, en glissement annuel, de 1% pour le premier trimestre 2016.
Les perspectives de l’économie tunisienne sont incertaines et le marché du travail continue d’envoyer des signaux négatifs pour la cohésion sociale.
Des signaux menaçants pour le climat sécuritaire, déstabilisants pour les caisses sociales (CNRPS en tête de liste), et démoralisants pour les acteurs économiques. Quand le moral des investisseurs et des consommateurs est en berne, la croissance est rarement au rendez-vous.
Un chiffre à première vue réjouissant : pour une économie frappée par la nébuleuse terroriste et une météo peu clémente. La mauvaise performance dans le secteur de l’hôtellerie et la restauration (-12%) et la chute de plus de 60% de la production d’huile d’olives au début 2016 ont fortement impacté le taux de croissance du premier trimestre 2016.
Malgré ce contexte hostile (terrorisme, faiblesse des IDE, fièvre revendicative,…), certains secteurs arrivent à tirer leur épingle du jeu, en enregistrant une nette amélioration par rapport au dernier trimestre de 2015. C’est le cas de la valeur ajoutée du secteur des industries chimiques (+28,6%), les matériaux de construction (+4,2%) et l’activité minière (+24,8%) malgré les blocages qui persistent encore.
Un chiffre décevant : surtout lorsque le gouvernement avance encore un taux de 2% (contre les 2.5% prévus par la loi de finances 2016). Les institutions internationales (hors FMI qui campe aussi un taux de 2%) n’ont pas cessé de réviser à la baisse leurs prévisions de croissance pour l’économie tunisienne : 1.8% pour la Banque Mondiale et 1.6% pour la BERD.
Un chiffre alarmant : pour un pays qui se prépare à entrer dans le tunnel du remboursement des prêts post-14 janvier 2011. Un tunnel semé d’embûches surtout avec le durcissement des conditions de financement sur les marchés internationaux, généré par les anticipations d’une remontée des taux américains et par l’élargissement du spread souverain de la Tunisie. Une croissance molle couplée à des taux d’intérêt en hausse ne pourraient que pousser davantage le pays dans les méandres du surendettement.
Un chiffre glacial : pour la dynamique de réforme. La faiblesse de la croissance pèsera sur les recettes fiscales et limitera les marges de manoeuvre budgétaires des autorités pour démarrer sérieusement les grands chantiers prévus par les réformes.
La faiblesse de la croissance, observée aujourd’hui, n’est que la phase apparente d’un iceberg bourré d’amateurisme politique, de fièvre revendicative, de défaillance sécuritaire, de mauvaise gouvernance administrative et de manque de détermination pour faire respecter la loi. Le recours au financement externe est devenu incontournable surtout avec la chute des recettes en devises dans certains secteurs lourdement sinistrés par le choc de la révolution et ses collatéraux : dégradation du climat sécuritaire (cas du secteur touristique) et la montée de la fièvre revendicative (activités minières en tête).
Malheureusement aujourd’hui, avec l’avalanche de prêts qui s’abat sur la Tunisie et qui ne fait que doper les chiffres des réserves en devises de la BCT, le dernier en date celui du FMI (2,9 milliards de dollars sur quatre ans), l’endettement prend l’ascenseur quand la croissance traîne dans les couloirs du rez-de chaussée.
En somme, tant que la machine des réformes tarde à démarrer sérieusement, tant que le syndicalisme ne déserte pas le terrain des revendications démesurées et tant que le virus du populisme continue de se balader dans l’hémicycle de l’ARP, la Tunisie démocratique sombrera dans une croissance anémique qui à terme finira par ébranler la construction démocratique.
Restons optimistes
Tout peut changer si la volonté et l’audace sont au rendez-vous. Si les produits allemands et plus précisément les voitures allemandes (Mercedes, BMW, Audi, Golf, …) font toujours rêver le monde entier, c’est parce que le modèle allemand repose sur des piliers solides. Un esprit citoyen qui gouverne le comportement aussi bien des ménages que des entrepreneurs.
Un enseignement professionnel de qualité. Un système fédéral, qui a largement contribué à la réduction des inégalités sociales et régionales.
Et aussi, un syndicalisme responsable, orchestré par la centrale IG Metall, qui considère la mondialisation comme une opportunité et non une malédiction et qui se présente comme une force de proposition et non de destruction.Tirons au plus vite les leçons qui s’imposent. Importons les fondements du succès du modèle allemand (la discipline, la rigueur et le sens de la responsabilité, la qualité de l’enseignement professionnel, le syndicalisme responsable …) avant d’importer les voitures allemandes. Sinon le tsunami de la déconfiture sociale et son cortège d’insécurité et de paupérisation de la classe moyenne finiront par débarquer sur les côtes de notre jeune démocratie. Il n’y a pas pire que de ne plus pouvoir rêver de posséder une voiture dans un pays où la qualité du transport public laisse à désirer.
(Cette analyse financière a été publiée sur le bulletin n’°8 – 1er trimestre de MAC SA)