« Des avions de la coalition internationale antidjihadiste ont mené aujourd’hui (samedi 17 septembre) quatre frappes aériennes contre les forces syriennes encerclées par le groupe Etat islamique près de l’aérodrome de Deir ez-Zor », lit-on dans un communiqué du ministère russe de la Défense. Le bombardement de « la coalition internationale », c’est-à-dire américain, a fait 90 morts et un plus grand nombre de blessés parmi les soldats syriens, et ce en pleine trêve décidée par l’accord entre Washington et Moscou et entrée en application quelques jours plus tôt.
Selon la version américaine, il s’agit d’ « une erreur regrettable », ce que rejettent avec force les Russes qui parlent d’une « attaque intentionnelle » contre l’armée syrienne dans le but évident d’aider les terroristes de Daech qui collectionnent les revers.
Qui croire? Le débat fait rage dans la presse internationale entre les défenseurs de la version américaine et ceux qui soutiennent l’explication russe. Il faut dire que les erreurs de bombardement dans les guerres sont assez fréquentes. Les Américains avaient bombardé par erreur leurs propres forces et à plusieurs reprises pendant les longues années de la guerre du Vietnam. Ils avaient également bombardé par erreur des forces alliées en Afghanistan et en Irak. Cela dit, le cas du bombardement en Syrie est différent dans la mesure où il y a un certain nombre d’éléments objectifs qui font pencher la balance en faveur de la version russe de ces événements tragiques.
Il y a tout d’abord deux données fondamentales à prendre en compte. La première est que les Etats-Unis, depuis l’émergence de Daech en tant que force terroriste d’envergure en Irak et en Syrie, n’ont jamais fait preuve d’enthousiasme ni de zèle dans la guerre contre les égorgeurs de l’ « Etat islamique ». La preuve, quand les hordes terroristes avançaient sur des centaines de kilomètres dans un environnement désertique, donc découvert, en direction de Palmyre, l’armée américaine a laissé faire, bien qu’elle sache que des massacres auraient certainement eu lieu parmi la population civile, et des destructions systématiques auraient endommagé certainement et irrémédiablement les trésors culturels et historiques multimillénaires de la Syrie.
La seconde donnée fondamentale est que l’armée syrienne est considérée par les décideurs américains comme une force ennemie et que, par conséquent, son bombardement ne relève pas des erreurs dues au « friendly fire » ou tirs amis.
Venons-en maintenant aux aspects techniques de ce bombardement. On pourrait à la rigueur accepter la version américaine de l’erreur, s’il ne s’agissait que d’une seule attaque disons de cinq ou six minutes avec une ou deux bombes lancées. Or, c’est loin d’être le cas. Pour tuer et blesser ce grand nombre de soldats syriens et détruire une bonne partie de leurs armements, leurs tanks et leurs véhicules blindés, les Américains ont mené quatre attaques successives qui ont duré près d’une heure…
Par ailleurs, les bombardements n’ont pas été effectués par des F-16 volant à une haute altitude, mais avec des bombardiers A-10 qui volent à une altitude si basse que le pilote est en mesure de distinguer les traits des visages des personnes bombardées et de voir même si elles sont barbues ou pas.
A supposer que les bombardiers américains étaient au départ, par erreur, dans la zone où se trouvaient les forces syriennes, ils auraient alors eu largement le temps et les moyens de se rendre compte de leur bourde et d’arrêter la tuerie avant que le drame ne prenne de l’ampleur. Mais rien n’a été fait et les bombardements ont continué.
A ces éléments techniques qui donnent une crédibilité plutôt à la version russe, s’ajoute un élément politique important. Les forces syriennes ont accepté l’accord russo-américain relatif à la trêve, par conséquent elles sont censées bénéficier du cessez-le-feu qu’elles ont elles-mêmes scrupuleusement respecté, sauf quand il s’agit de combattre les terroristes de Daech et d’Annusra. Or cet accord a été signé par les parties américaine et russe qui n’ont aucune confiance l’une dans l’autre. Pire, les tiraillements observés entre le département d’Etat et le Pentagone au sujet de l’accord sur la trêve en Syrie amènent certains observateurs à penser que des forces au sein de l’establishment à Washington, et en particulier les forces militaires, ne seraient pas malheureuses de voir l’accord en question mort et enterré. Car, il ne faut pas oublier que beaucoup de cadres de l’armée américaine ne cachent pas leur réticence, et même leur révolte, à l’idée de devoir collaborer avec les militaires russes qu’ils considèrent comme « force ennemie ».
Tous ces éléments amènent beaucoup d’observateurs à se ranger du côté de la version de Moscou qui a toutes les raisons d’exprimer sa fureur et de dénoncer la duplicité et l’hypocrisie de son « partenaire américain. La fureur russe est d’autant plus justifiée que les conséquences de l’ « erreur » américaine se sont fait immédiatement sentir. Après le massacre des soldats syriens, les terroristes de Daech qui ne s’attendaient sûrement pas à un tel cadeau tombé du ciel, ont vite fait d’en profiter pour renforcer leurs positions et d’occuper des collines stratégiques, ce qui met l’aéroport militaire de Deir Ezzor à portée de canon des terroristes daéchiens.
En fait, cette aide précieuse que les Etats-Unis apportent à Daech n’est pas la première du genre et ne sera pas la dernière. En tant que principale force combattante contre le régime syrien et contre les Russes, l’hydre terroriste à deux têtes (Daech et Annusra) est encore utile pour Washington.
Que dire alors de Madame Powers, la représentante américaine à l’ONU, qui vient d’accuser la Russie de « cynisme » rien que parce qu’elle a appelé le Conseil de sécurité à se pencher sur l’ « erreur américaine »? Seul le silence est grand…