Adel Grar, président de l’Association des intermédiaires en Bourse a accordé à l’Economiste Maghrébin une interview qui a été publiée dans Spécial Finance 2016. Adel Grar déplore l’absence de volonté de développer la Bourse et le marché financier d’une manière plus générale, et l’incompréhension totale du potentiel et des opportunités qui peuvent en découler. Extraits de l’interview…
L’Economiste Maghrébin : Les analystes s’accordent à dire que la Bourse est en état de mort clinique. Quelle est votre évaluation de la santé générale de la Bourse tunisienne ?
Adel Grar : Je ne dirais pas en état mort clinique, mais je dirais que la Bourse est aujourd’hui victime du contexte économico-politique de la Tunisie. La Bourse devrait en principe refléter la situation économique d’un pays. Or, la Bourse tunisienne, avec ses 80 sociétés cotées ou un peu moins, n’est pas arrivée au stade où elle reflète la situation économique générale. Elle ne reflète, en effet, que la situation des sociétés qui y sont introduites, et pas fidèlement non plus !
La Bourse se trouve donc enfermée dans sa carapace, à cause de la situation économique morose, mais aussi et surtout de l’instabilité politique, qui a fait que 8 gouvernements se sont succédé en cinq ans, avec des programmes jamais clairs, jamais exécutés jusqu’au bout.
La Bourse est, après tout, le reflet du comportement de l’investisseur, qu’il soit acheteur ou vendeur. Demander aujourd’hui à un investisseur d’investir dans des actifs risqués à travers la Bourse, dans un contexte de visibilité très faible, c’est pour le moins un exploit.
Vous attribuez la situation dans laquelle se trouve la Bourse aujourd’hui au contexte économico-politique. N’y a-t-il pas, selon vous, des problèmes intrinsèques à la Bourse qui ont empêché son évolution ?
Il y a évidemment des problèmes propres à la Bourse, qui vont à l’encontre de son évolution et qui ont fait qu’elle ne s’est pas assez développée depuis 20 ans. La loi n° 94-117 du 14 novembre 1994, portant réorganisation du marché financier, fera bientôt ses 22 ans. Le bilan qu’on en fait n’est pas très positif. C’est un bilan, pour le moins, mitigé. L’organisation du marché a connu une évolution en dents de scie, avec des moments d’avancées, des moments de stagnation, voire de recul, des objectifs atteints, mais également des objectifs non atteints.
Toutefois, le contexte actuel va au-delà du fait que la Bourse ne s’est pas développée durant les 22 dernières années. C’est un contexte qui impose à la Bourse des complexités qui ne lui sont pas propres. Cependant, il importe de constater que malgré ce contexte difficile, les cours sont maintenus et reflètent un tant soit peu la situation des entreprises cotées. En d’autres termes, la Bourse tunisienne a réussi à dépasser le stade où, pour la moindre information, voire pour l’absence d’information, le marché s’affole, les ventes se multiplient et les titres chutent au plus bas, pour être par la suite récupérés par des étrangers à un prix très faible, comme cela a été le cas en 1998 ou encore en 2001. Aujourd’hui, de ce côté-là, on peut dire que le marché est un peu plus mature.
L’apport des dernières introductions a été très critiqué par plus d’un analyste. Comment évaluez-vous cet apport ?
Les dernières introductions ont été réalisées dans un contexte très particulier de Crédit Crunch et de limitation de liquidité bancaire, qui ont poussé des entreprises, qui autrefois se finançaient à travers le système bancaire, à venir lever des fonds sur la Bourse.
Ceci a fait qu’entre 2012 et 2013, 18 sociétés se sont introduites en Bourse, un record absolu depuis sa création. Avec autant d’introductions en l’espace d’un an et demi, l’équivalent de ce qui a été enregistré sur 15 ans auparavant, voire plus, des petits incidents peuvent bien survenir. Mais je pense que cela reste limité et aussi, au bout du compte, il y a toujours un gain réel à introduire une entreprise en Bourse, que ce soit pour le marché, ou pour l’investisseur et l’émetteur.
Il y a eu, peut-être, une ou deux sociétés qui n’ont pas été à la hauteur des exigences du marché et de l’investisseur, mais je dirais que ce nombre reste proportionnellement limité, comparé à ce qui se passe sur des marchés développés. On peut toujours faire mieux, mais je pense qu’une fois la société introduite, c’est au régulateur et au marché de faire respecter les règles (règles d’information, de cotation, de transparence, de gouvernance,…). Ceux qui sont en charge de faire respecter les règles doivent assumer leur mission durant le séjour d’une entreprise en Bourse.
Mais je pense qu’il ne faut pas regretter ces introductions ; c’est déjà une aubaine d’avoir pu convaincre autant d’entreprises d’entrer en Bourse en si peu de temps, surtout qu’un bon nombre de leurs dirigeants n’en étaient pas réellement convaincus.
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