Comment comprendre le phénomène de la radicalisation? Quels sont les signes avant-coureurs ? C’est en partie l’une des thématiques abordées avec Jamil Sayah, président de l’Observatoire tunisien de la sécurité globale (OTSG). Il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages comme « Au coeur de la tragédie arabe: la crise du constitutionnalisme ». Comment traiter le mal du 21ème siècle ? Il nous livre ses pensées et sa recette pour le combattre. Interview.
leconomistemaghrebin.com : Parlons de radicalisation des jeunes, un phénomène qui a pris des proportions alarmantes et qui touche un grand nombre de jeunes et d’adolescents. Comment pouvez-vous l’expliquer ?
Jamil Sayah : La radicalisation est un phénomène international et pas exclusivement tunisien. Pour le cas de la Tunisie, il y a une vraie crise des valeurs et de perte de repères. De ce fait, beaucoup de jeunes Tunisiens ne se retrouvent pas par rapport à une ligne de conduite aussi bien politique, sociale qu’économique. Et donc ils se réfugient dans des idées de plus en plus radicales qui donnent un sens à leur vie.. Cette radicalisation d’aujourd’hui n’est pas la même qu’autrefois, où il y avait différentes formes comme l’extrême-gauche ou le fascisme. A présent, cette radicalisation est islamiste.
Historiquement, les Frères musulmans sont les idéologues de l’islam politique. Aujourd’hui, ils sont classés parmi les organisations terroristes. Qu’en pensez-vous?
L’islam politique de nos jours a tellement instrumentalisé la religion islamique qu’il l’a transformée en une idéologie qui a produit des ramifications telles que le mouvement takfiriste et bien d’autres mouvements extrémistes. Ce qui paradoxalement a donné un sens à un engagement politique d’une certaine partie de notre jeunesse qui se trouve en Irak, en Syrie, en Libye. Or avec la victoire de Donald Trump et ses déclarations tonitruantes contre les mouvements extrémistes islamistes, la donne va changer d’une manière ou d’une autre. Jusque-là l’Administration américaine les a instrumentalisés à souhait pour ses intérêts personnels mais les Américains sont très pragmatiques et quand il s’agit de changer de bord, ils le font sans hésiter.
Justement, comment voyez-vous l’échiquier mondial aujourd’hui après la victoire de Trump?
La cartographie du terrorisme avec le problème syrien est susceptible d’être modifiée. Certains rentreront. D’autres, par crainte de représailles, iront ailleurs, au Yémen par exemple.
Quelles sont les mesures que le gouvernement devrait mettre en place concernant le risque du retour des terroristes entre ceux qui ont été expulsés d’Europe ( France, Italie, Suisse, etc.. ) et ceux qui vont rentrer des zones de conflits ?
L’important est de définir l’objectif recherché or nous avons l’impression que ça ne bouge pas. Ce qui est inquiétant tout de même vu le nombre de Tunisiens partis dans les zones de conflits en Irak, en Syrie, ou en Libye. Quand on voit les Allemands comment ils se sont mobilisés et l’impressionnante stratégie mise en place pour encadrer la centaine de leurs ressortissants qui s’apprêtent à rentrer, idem pour les Danois et leur stratégie de prévention, l’on se demande pourquoi nos pouvoirs publics sont-ils si silencieux sur les graves dangers que va comporter le retour de l’important contingent que constituent nos ressortissants apprenti-terroristes ?
Je pense que le problème provient de la classe politique tunisienne. Il y a ceux qui exercent le pouvoir et qui considèrent que ces personnes ne sont ni terroristes ni criminels et à partir de là, ils feront tout pour freiner toute mise en place d’une stratégie de prévention. Ce qui est à mon sens dangereux. Dans notre rapport à l’OTSG, nous avons formulé un certain nombre de propositions.
La mise en place de statistiques: combien sont-ils? Qui sont-ils? Leur appartenance? Avec leur retour, il va falloir créer un centre d’accueil, qu’on appellera centre de déradicalisation, car ces personnes là sont dangereuses et pourraient en contaminer d’autres.
Croyez-vous réellement à la déradicalisation ?
Le centre d’accueil à mettre en place devra chercher à identifier ceux parmi ces jeunes qui ont tué, ceux qui étaient là par mimétisme. Egalement, il y a un autre phénomène dont personne ne parle : quelle stratégie faudra-t-il appliquer à toutes ces filles instrumentalisées par Daech ?
En France, il y a quelques jours, le dernier attentat déjoué a été commis par deux femmes. Or sur les 6000 terroristes tunisiens, il y a au moins 300 filles. La question prioritaire est de savoir qui sont ces filles? D’où viennent-elles?
Selon, les médias relayés, leur âge varie entre 20 et 30 ans. Cela prouve en outre que la radicalisation ne se fait plus à travers les réseaux ordinaires ou par internet, mais par des réseaux islamistes qui ont réussi à s’installer, à tisser leur toile depuis quatre ans.