Le pire était à craindre au sujet du vote du projet de budget pour 2017. Dieu merci, il ne s’est pas produit ou presque. Mais que reste-t- il du projet de loi de finances 2017, autant dire du programme gouvernemental tout orienté vers la relance de l’investissement et de la croissance ? A la vérité, pas grand-chose.
Le projet de loi de finances n’a pas résisté au travail de sape, à la défense d’intérêts catégoriels et aux calculs politiciens de députés, plus soucieux des prochaines échéances législatives que du recul du chômage et des déficits publics qui plombent l’action de l’Etat.
Le projet de loi de finances, qui n’est rien d’autre que la traduction financière du budget de l’Etat qui porte au plus haut niveau son ambition, sa vision et le cap qu’il s’est donné pour les années à venir, a été vidé de sa substance, taillé en pièces, mutilé pour ainsi dire et, comble du cynisme, perverti comme il n’aurait jamais dû l’être.
Le gouvernement s’est trouvé dans l’obligation, une fois de plus, de reculer pour désamorcer une crise dont on craignait l’issue. Il dut s’en tenir à des compromis de façade devant l’intransigeance de l’UGTT, la sédition des avocats, le refus des pharmaciens et la fronde des médecins de libre pratique. Le patronat, le seul qui avait de véritables raisons de se plaindre, osait à peine donner de la voix avant de s’y résigner.
Le projet de loi de finances 2017, pour avoir osé s’attaquer à des citadelles jusque-là imprenables, a réussi à fédérer le plus large front de refus que le pays ait connu. Un front sans liens apparents, si ce n’est la défense d’intérêts catégoriels, résolu, déterminé, défiant l’autorité publique, au seul mobile de défendre ses privilèges plus que les droits qui sont les siens.
L’UGTT, passée maître dans l’art des négociations, s’en sort tout à son avantage, avec les honneurs, mettant ainsi le gouvernement au défi d’honorer ses engagements conformément à sa perception du pacte de Carthage dont elle est l’un des principaux signataires. Après avoir brandi l’arme de dissuasion massive qu’est la grève générale, elle invoque pour prix de son apaisement l’intérêt suprême de la nation. On voudrait bien le croire…
Les avocats ont certes eu gain de cause -jusqu’à quand ? – en jouant de leur connivence avec leurs obligés à l’ARP, mais ils ont au même moment réussi l’exploit de jeter le discrédit sur une profession que l’on croyait au-dessus de tout soupçon. Les médecins de libre pratique – pas tous évidemment – continueront de s’enrichir sous le ciel brumeux de la IIe République, pendant que d’autres poursuivront leur descente aux enfers. A croire que tous deux ont rangé une fois pour toutes principe et serment au placard des oubliettes.
Les pharmaciens, plus mercantiles que jamais, n’ont pas renoncé à leurs calculs d’apothicaire. Et vogue la galère…
On découvre avec effroi la place et l’importance de l’argent, devenu en quelque sorte la valeur dominante chez ces professions, auréolées jusque-là d’un prestige presque inégalé.
Seul rescapé du projet de loi de finances 2017, l’impôt exceptionnel, du reste contra-cyclique, à contre-courant, de 7,5% sur les sociétés, malgré les vaines protestations de la Centrale patronale. L’UTICA a fait preuve de plus de retenue, car la décision n’était pas inévitable, loin s’en faut, mais les chefs d’entreprise s’y sont résignés.
L’histoire dira, qu’en dépit du préjudice, voire du handicap qu’ils vont subir, ils se sont réconciliés avec l’opinion et ont gagné en estime et en respectabilité.
Pourtant, il n’est pas établi, ni évident, qu’une brusque augmentation des taux, quand la tendance dans le monde est à la baisse, puisse générer des rentrées supplémentaires dans les caisses de l’Etat. D’autant que la situation financière des entreprises est aujourd’hui si fragile, si dégradée, qu’elles ne résisteront pas à une augmentation brutale des impôts – fût-elle limitée dans le temps – et des salaires, sans espoir de gains de productivité. Chronique d’un désastre annoncé.
Le PLF, amputé de la volonté politique du gouvernement, dépouillé de mesures emblématiques, hautement symboliques de sa volonté réformatrice, a été voté à une forte majorité. Non sans poser à l’avenir de réels problèmes.
Le gouvernement n’est pas au bout de ses peines. Car la loi de finances, revisitée par l’ARP, dans sa nouvelle configuration, menace toute l’architecture de l’action gouvernementale. Comment, en effet, compenser la baisse des recettes que l’exécutif escomptait récupérer auprès des avocats, des médecins, des pharmaciens, voire des sociétés, en dépit ou à cause de la hausse de la pression fiscale, conformément à la règle que les taux tuent les totaux ? Par quel miracle peut-il augmenter les salaires des fonctionnaires, fût-ce partiellement, en 2017, alors que de tels montants n’étaient pas programmés dans la loi de finances ?
Et comme les difficultés n’arrivent jamais seules, le gouvernement doit aussi faire face à la hausse du prix du carburant, qui a repris sa progression dans le monde, alors qu’il a bâti son budget sur la base de 50 dollars le baril, aujourd’hui allègrement dépassé. La tendance, si l’on en croit les spécialistes, est même à la hausse. De surcroît, il n’est qu’à voir, avant même le vote de la loi de finances, la chute de la parité du dinar par rapport à l’euro et au dollar pour se convaincre qu’on est fort éloigné de l’hypothèse initiale à partir de laquelle a été élaboré le budget. L’un comme l’autre vont alourdir les charges de l’Etat et creuser ses déficits.
Moins de recettes en vue, plus de charges… Le budget, censé traduire dans les faits une vision, un cap, des préférences nationales de structures productives, un projet social et sociétal, paraît moins bien engagé et par certains aspects, compromis.
Le gouvernement Chahed est confronté à un terrible dilemme : il peut, soit revoir à la baisse ses ambitions politiques, couper dans les dépenses d’équipements, les investissements d’avenir pour pouvoir assurer, comme il entend le faire, les dépenses courantes de l’Etat : salaires, service de la dette, Caisse générale de compensation…
Il peut tout aussi bien poursuivre dans l’autre voie, celle de la fuite en avant, en recourant à l’endettement, si tant est que cela soit encore accommodant, au regard du coût de l’emprunt. A moins de recourir, sur une très grande échelle, à la planche à billets, avec les risques d’emballement inflationniste que l’on devine, sans que, d’ailleurs, cela n’exclut le nécessaire recours à l’emprunt extérieur. Pourtant, ce scénario, pour difficile et grave qu’il soit, est un moindre mal, dès lors qu’il préserve les investissements publics sans lesquels il n’y aurait pas de croissance et nous évite un atterrissage brutal, une cure d’austérité, dont le pays ne se relèvera pas.
A moins que le salut ne vienne de l’issue heureuse de la Conférence sur l’investissement qui aura réussi, à l’évidence, à restaurer la confiance internationale et à réintroduire le pays dans le radar des investisseurs et des bailleurs de fonds étrangers. Les engagements pris pour les cinq années à venir, les dons accordés, les promesses annoncées sur un ton de quasi-certitude, s’ils venaient à être transformés dès à présent, constitueraient un formidable appel d’air salutaire pour le pays. Nous pourrions pour un temps – sans que cela nous exonère d’effort et de discipline – effacer nos querelles sociales et nos crispations fiscales. Le temps d’engager les nécessaires réformes structurelles qui ne soient pas de simples replâtrages ou qui n’aient l’apparence de quelques ajustements à la marge. Il faut de vraies réformes et de vraies concertations avec les corps constitués.
Les réformes sont certes difficiles, car elles remettent en question des intérêts établis et des rentes de situation. Elles ne sont pas impossibles, quand elles sont nécessaires et quand elles s’imposent comme une ardente obligation.
Nécessité fait loi. La question est de savoir comment les aborder. En déployant toute une pédagogie de crise et d’enjeux. Il ne faut pas se lasser d’expliquer encore et toujours, pour convaincre de la nécessité de ces réformes. Tout le monde n’y perdra pas, bien au contraire, à l’idée, à la nécessité de réformer l’Etat – moins de procédures administratives -, le marché de l’emploi, la fiscalité, l’enseignement …
Il y a même de fortes chances pour qu’au final, tout le monde y gagne. Car une société figée court à sa perte. Le salut est dans le mouvement, dans notre capacité d’adaptation et d’anticipation, dans notre désir de partage, de transformation économique et sociale. Il suffit de le dire, d’expliquer le pourquoi du comment et de le rappeler sans cesse.