La Turquie semble s’enfoncer progressivement dans une spirale de violence aux conséquences imprévisibles sur la stabilité du pays.
La dernière victime de cette violence est l’ambassadeur russe, Andrey Karlov, assassiné hier par cinq balles dans le dos dans une galerie d’art à Ankara. Il ne se passe pratiquement pas de jour sans que le sang coule à Istanbul ou à Ankara et que des civils ou des policiers tombent victimes d’attentats terroristes. On est très loin des années paisibles où la Turquie enregistrait des taux de croissance records et un rythme de développement économique qui la rapprochait des pays développés. On est très loin des promesses du chef du parti islamiste Erdogan consistant à faire de la Turquie « un pays sans ennemis ».
Mais d’abord revenons à cette tragédie d’hier. L’ambassadeur de Russie à Ankara était en train de faire une allocution dans une galerie d’art dans la capitale turque quand surgit un jeune homme qui, en apparence, n’a rien d’un terroriste. Impeccablement habillé, costume, cravate, chaussures parfaitement cirés, le jeune homme est « un policier de 22 ans ». Un revolver à la main, il avance calmement vers l’ambassadeur sans que personne n’intervienne et lui tire cinq balles dans le dos. L’ambassadeur s’effondre. Mais le terroriste continue de tirer et deux ou trois personnes sont blessées.
Les quelques phrases prononcées par le terroriste alternativement en turc et en arabe et rapportées par les médias internationaux et les réseaux sociaux sont suffisamment claires pour situer le terroriste et comprendre ses motivations. En arabe, l’assassin a affirmé : « Nous avons fait le serment au prophète Mohammed de mourir en martyrs ». En turc, il a dit « N’oubliez pas Alep, n’oubliez pas la Syrie ». Après avoir tiré sur l’ambassadeur il répéta le slogan propre aux terroristes de Jabhat Annusra : « Nous obéissons à l’ordre du jihad. » Revolver à la main, le terroriste a poursuivi son délire jusqu’à l’arrivée de la police qui l’a finalement abattu.
L’assassinat de l’ambassadeur russe intervient à un moment où Moscou et Ankara poursuivent d’intenses négociations sur le départ d’Alep-Est des civils et du dernier groupe de terroristes qui n’a pas encore jeté les armes. Mais il est peu probable que cette tragédie perturbe les négociations ou, encore moins, les arrêter. Il était prévu que le mardi 20 décembre le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, se rende à Moscou où il aura des discussions avec ses homologues russe et iranien sur la Syrie. Dans une déclaration faite à l’Agence Reuters, le président de la Douma annonça que la rencontre de Moscou aura lieu comme prévu.
Plusieurs heures après l’assassinat, aucune réaction officielle turque n’a été annoncée. Ce sont les Russes qui ont annoncé le drame aux médias. Ce long silence observé par les officiels turcs est révélateur du grand embarras, de la panique même qui règne dans les cercles du pouvoir en Turquie. L’Etat turc, on le constate pratiquement chaque jour, est de moins en moins capable de protéger ses citoyens et les membres des services de sécurité du terrorisme aveugle qui sévit désormais en Turquie. Mais les choses prennent une tournure nettement plus grave quand ce même Etat s’avère incapable de protéger les diplomates.
La Turquie est en train de subir l’effet de boomerang engendrée par la politique dangereuse entreprise par le président Erdogan vis-à-vis des Kurdes et de la Syrie.
Concernant les Kurdes, Erdogan a rompu la trêve qui a très bien marché pendant treize mois. Se croyant fort et capable de régler la question kurde à coups de bombardements, le président turc a ouvert la voie à une vague de violence qui a déjà fait des centaines de victimes parmi les civils et les forces de sécurité.
Quant à la question syrienne, à force d’avoir joué avec le feu pendant plus de cinq ans, Erdogan a mis gravement en danger la sécurité et la stabilité de son propre pays. Le feu qu’il a largement contribué à allumer en Syrie est en train de se propager en Turquie. Et c’est pour tenter de le circonscrire qu’il a abandonné ses alliés du Golfe et les groupes armés en Syrie pour aller chercher de l’aide chez les Russes et les Iraniens.