La classe dite moyenne voit ses horizons bien réduits. Réussir à garder « la ligne financière » relève désormais du défi. Focus.
Longtemps considérée, à tort ou à raison, comme synonyme de stabilité et de cohésion sociale , la classe moyenne se voit aujourd’hui poussée de plus en plus dans ses derniers retranchements. Le constat est dur au regard de la symbolique de cette frange sociale et de ce qu’elle a pu suggérer par le passé.
Selon une étude publiée par le portail social du gouvernement, elle a représenté en 1980, 67,7 % de la population. Une évolution due essentiellement à l’expérience de la décennie 1970.Les choses vont connaître par la suite une évolution en dents de scie avec une prédominance négative au niveau de toutes les franges de la société, particulièrement la classe dite moyenne. Déstabilisée, prise à partie et acculée, celle-ci a subi le revers des choix et de la conjoncture économique.
Récemment, on a annoncé que cette classe regrouperait en fait 1,9 million de travailleurs, 60% d’entre eux percevraient un salaire inférieur à 800 dinars par mois, et 33% toucheraient un salaire mensuel de moins de 400 dinars.
La fragilisation du statut de classe moyenne est la résultante d’un phénomène d’usure dû, selon les spécialistes, à plusieurs facteurs dont le modèle de développement adopté depuis particulièrement la mise en œuvre du PAS et les choix qui en ont découlé ainsi que les décisions économiques parallèles et les nombreuses mesures engagées pour ancrer le modèle libéral.
On peut citer, à ce propos, la mise en place d’une approche fondée sur la flexibilité de l’emploi concrétisée par la révision des dispositions du Code du travail avec une prévalence du contrat à durée déterminée…
Toutefois, il faut admettre que le chômage des diplômés du supérieur a été le coup le plus dur asséné à l’idée même de classe moyenne avec ce que cela entraîne comme répercussions. Le levier relatif au moyen classique de promotion sociale par l’éducation a subi de la sorte un sérieux revers et à travers cela, une nette régression du modèle de société, instauré depuis l’indépendance.
Quelques-uns des témoignages faits aujourd’hui, à cet effet, illustrent la « dérive » que connaît la classe moyenne.
Loin de tout échantillon représentatif, la réalité
« La vie nous fait grise mine manifestement. La situation s’en va crescendo et cela maintenant depuis des années. C’est devenu bien difficile de joindre les deux bouts comme on dit… ». Pour Nasser, cadre moyen, employé dans une entreprise depuis une dizaine d’années et père de deux enfants, le constat est on ne peut plus convaincant. Il est devenu bien difficile d’arriver à boucler le mois tant le pouvoir d’achat bat de l’aile et les horizons- financiers cela s’entend- s’avèrent par les temps qui courent difficiles. Son salaire, dit-il, « suffit à peine à satisfaire aux besoins de sa petite famille » et d’ajouter : « Mes revenus sont grevés de charges mensuelles, un remboursement échelonné d’un crédit bancaire de 350 dinars , en plus des redevances fixes, me laissent à peine de quoi tenir, cela sans compter mes dettes qui ne cessent de s’accumuler ».
Le cas de Nasser n’est pas isolé. Il est semblable à tant d’autres qui sont dans la même situation avec toutefois des variantes selon le cas et la situation. Néanmoins, cet exemple traduit une réalité manifeste qui a de quoi servir de référence en ce qui concerne le rapport, bien prononcé, entre les possibilités financières de ce qui est commun de désigner par la catégorie de cadres moyens et la situation dans laquelle ils sont contraints de vivre aujourd’hui. Un rapport, faut-il l’admettre, bien à l’étroit et aux accros assez prononcés.
« De plus en plus les choses se corsent pour moi et chaque mois qui passe est une véritable prouesse. A peine si j’arrive à satisfaire mes besoins. », lance M.A ,un fonctionnaire dans un ministère aux portes de la retraite. « Bien que je sois arrivé il y a deux ans à clôturer mon dossier de crédit pour l’acquisition d’un appartement, je me trouve confronté à des exigences financières croissantes pour entretenir ma famille et surtout pour payer au mois les charges inhérentes à la scolarité de mes enfants- des étudiants- et tout ce qui s’en suit. Je ne parle pas là des dépenses familiales fixes. C’est une autre paire de manches, un calvaire… »
Un mal-être social de plus en plus prononcé
Ces cas se rejoignent malgré les différences spécifiques. Un dénominateur commun les unit comme c’est le cas pour tant d’autres logés économiquement et socialement à la même enseigne . Il s’agit de la difficulté à arriver aujourd’hui à satisfaire aux exigences de la vie au quotidien, financièrement cela s’entend. C’est devenu le lot de tous ceux qui peuvent être classés dans la catégorie de la classe moyenne. Encore faut-il jeter un bémol pour cette désignation ou classification en termes de classe sociale et, précisément sa capacité à reproduire la réalité. En d’autres termes, la désignation est-elle appropriée et à la limite est-il conséquent même de dire ou de prétendre aujourd’hui que nous avons une classe moyenne ?
La classification classique, aux allures manichéennes, qui permet d’opérer les distinctions en termes de classe, s’avère du fait des réalités économiques et sociales d’aujourd’hui bien rebelle à mettre en œuvre tant les frontières de délimitation sont devenues difficiles à apprivoiser. Il faut se rappeler à ce propos que la classe moyenne a été pendant des décennies le fer de lance de l’économie tunisienne, se traduisant par des réussites manifestes mais cela a peu à peu régressé, ce qui a engendré le malaise que l’ on connaît aujourd’hui .
Certains vont même jusqu’à considérer que cette classe périclite. Elle est en déperdition et par conséquent, il est inapproprié de continuer à lui adjoindre cette identification. La réalité se prononce de plus en plus pour ce constat en veillant à mettre en exergue une majorité de la population du travail « en difficulté », donc proche de « la promiscuité », à peine en dessus de « la pauvreté », obligée pour se maintenir et survivre de compiler les crédits et de s’adonner en d’autres termes aux rouages du « système D », et une minorité aisée , bien à l’abri de la contingence et du besoin.
Aujourd’hui, nul besoin de procéder à une analyse micro-économique poussée pour se convaincre de l’évidence que le pouvoir d’achat s’effiloche et qu’il est désormais bien difficile pour une grande majorité de la population d’arriver comme on dit à joindre les deux bouts.
Pour essayer de s’en sortir, nombreux sont ceux qui se voient obligés, entres autres, de se rabattre,- quand ils le peuvent- sur les crédits de consommation qui, en réalité, grèvent encore davantage leur situation et ancrent de plus en plus leur dépendance.
D’autres optent pour des solutions de fortune de tout acabit, du genre trouver un travail en plus de celui qu’ils exercent déjà ou se lancent dans de petits travaux, dans le commerce généralement, pour arrondir leurs fins de mois. Ces choix ne sont pas pour la plupart heureux car ils entraînent des conséquences souvent négatives sur la qualité de la vie, la santé et l’équilibre familial.
Répercussions et conséquences
Ce que nous observons et constatons aujourd’hui ne défie pas la surprise car synonyme de malaise social et de perturbations qui se répercutent à l’échelle individuelle, familiale et collective. Cette grise mine qui s’est mise depuis quelques années à caractériser l’ambiance générale sous nos cieux et à teindre l’air du temps est de plus en plus persistante.
C’est désormais une donne bien ancrée dans notre société et dont l’effet pernicieux nous fait profiler, dans l’état actuel des choses et au rythme dans lequel vont les choses des horizons pour le moins que l’on puisse dire peu souriants.
A preuve. Les difficultés éprouvées au niveau des ménages, l’endettement rampant et les signes concrets d’un marasme de plus en plus concrets. Le sujet est à l’heure des débats privés où l’on ne finit pas de faire le procès d’une réalité aux abords bien difficiles. Et Nasser de conclure : « Si les choses continuent sur cette lancée, je ne vois pas dans les temps à venir comment l’on va s’en sortir surtout avec l’avancée terrifiante du chômage chez nous ».