Le Rapport annuel publié par « Amnesty International » n’a pas épargné la Tunisie.
Une régression en matière de respect des Droits de l’Homme se confirme, même si l’analogie avec l’ancien régime ne se justifie pas.
Face à la série d’attaques terroristes qui ont frappé le pays, non seulement les autorités ont renforcé les mesures sécuritaires – ce qui est légitime en soi -, mais la tentation de l’abus et de l’arbitraire c’est de plus en plus manifester.
Au-delà de la banalisation du recours aux lois d’exception, les forces de sécurité cèdent parfois aux vieux réflexes des méthodes illégales, notamment la torture, les arrestations et les détentions arbitraires, le harcèlement des proches de présumés terroristes …
Si ces pratiques rappellent un autre temps, celui d’un régime honni, elles s’inscrivent aujourd’hui dans un contexte de menace djihadiste bien réelle. La Tunisie post-révolutionnaire doit-elle pour autant céder les avancées obtenues en matière de respect des droits fondamentaux de l’individu au nom de la lutte contre le terrorisme ?
Le passé national et la conscience civique commandent une réponse négative. Il est possible de concilier protection et Etat de droit.
Le terrorisme représente l’un des principaux défis posés à l’Etat de droit. Le succès de la transition démocratique en Tunisie suppose précisément d’éviter toute régression liberticide, en conjuguant la démocratie avec l’Etat de droit. L’exigence est inhérente au message du 14 janvier 2011, celui de la dignité recouvrée.
La sécurité est un droit, mais pas le seul : un ordre social ne saurait se fonder sur cet unique fondement. Les Tunisiens savent bien comment l’arbitraire au nom de la sécurité glisse progressivement vers un pouvoir autoritaire.
Si la lutte contre le terrorisme (entendue comme politique publique, action coercitive et dispositifs législatifs et juridictionnels) est potentiellement attentatoire aux droits de l’Homme et aux libertés publiques, les deux politiques ne sont pas forcément contradictoires ou inconciliables.
Seulement, l’équation ne va pas de soi. Comment combattre et contrer des êtres prêts à tout – y compris à la mort – en inscrivant son action dans un cadre limitatif ? L’équation n’est pas simple, elle n’est pas propre à la Tunisie. Les démocraties occidentales sont elles-mêmes confrontées à ce délicat équilibre garanti in fine par la fonction du juge.
Le 24 juillet 2014, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), la plus haute instance judiciaire protégeant les droits des citoyens de 47 pays européens (membres du Conseil de l’Europe), a rendu deux arrêts dans lesquels elle a réaffirmé que les normes absolues des droits de l’Homme, comme l’interdiction de la torture, devaient être respectées en toutes circonstances.
En l’espèce, les juges européens étaient invités à considérer si la Pologne avait violé ses obligations relatives aux droits de l’homme au regard des conditions de détention, d’interrogatoire et de transfert vers les Etats-Unis de deux individus soupçonnés d’actes terroristes et déjà détenus à Guantanamo.
Les juges européens ont conclu à l’unanimité que la Pologne avait effectivement violé la Convention européenne des droits de l’Homme sur ces points. Ce n’était pas la première fois que la Cour dénonce l’illégalité du programme de « restitution » mené par la CIA en Europe entre 2002 et 2006, qui a donné lieu à des enlèvements, des détentions et des mauvais traitements contre des terroristes présumés.
En décembre 2012, déjà, la Cour a tenu « l’ex-République yougoslave de Macédoine » pour responsable d’actes de torture commis sur Khalid El Masri par une équipe de « restitution » de la CIA en présence de fonctionnaires macédoniens, et de traitements inhumains et dégradants infligés lors d’une détention arbitraire.
Elle a également conclu que l’Etat avait failli à son obligation de mener une enquête effective sur les allégations de mauvais traitements et de détention arbitraire et d’octroyer un recours effectif au requérant. La portée de ces arrêts va bien au-delà des deux pays directement concernés.
Au moins 25 pays européens ont coopéré au programme de « restitution » de la CIA, mais très peu ont établi un tant soit peu les responsabilités. Qu’en est-il de la Tunisie ?
En attendant ce type de réponse, rappelons qu’il y a près de deux ans, le président Béji Caïd Essebsi, alors en visite à Paris, avait déclaré après l’adoption de mesures d’exceptions qu’«il ne s’agi(ssai)t pas de tomber dans un Etat policier ».
La déclaration faite au journal Le Monde (daté du 7 avril 2015) sonne aujourd’hui avec une tonalité particulière …