Entre chefs d’entreprise textiles et salariés, le torchon brûle. Pomme de discorde : l’application de la dernière augmentation salariale de 6%, signée entre la centrale syndicale et la centrale patronale.
Malgré la signature et tous les détails de l’augmentation, en présence du Chef du gouvernement, il semble que signer ne veut pas dire que l’application est garantie. A peine la signature a-t-elle été annoncée que la Confédération des Entreprises Citoyennes de Tunisie – (CONECT) avait exprimé son mécontentement et l’incapacité de ses affiliés à accorder l’augmentation, « qui d’ailleurs n’a pas fait objet de consensus et de concertations »; et en deuxième lieu, la Fédération nationale du Textile (FENATEX) au sein de l’UTICA avait menacé de se retirer de l’UTICA.
Pour les économistes, le secteur du textile ne peut faire face à de telles augmentations salariales dans un contexte aussi difficile et cela pour plusieurs raisons : la régression du secteur, l’importation excessive des produits textiles de l’étranger qui impose une concurrence déloyale et la contribution exceptionnelle imposée aux entreprises de l’ordre de 7,5% sur leurs chiffres d’affaires par la loi de Finances pour 2017. Mais pour l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), il est hors de question de renoncer à l’application des augmentations salariales.
Ce matin, devant le siège de l’UGTT, le visage sombre, la rage au cœur, un certain nombre d’ouvriers d’une entreprise tunisienne de textile s’est attroupé. La seule revendication est : la signature d’un préavis de grève dans le secteur du textile pour non-application des augmentations salariales et la non application de l’exonération de l’impôt pour les salariés dont le revenu annuel ne dépasse pas les 5000 dinars.
Alors que la salle qui abrite les membres de la commission administrative nationale du secteur textile était calme et le dialogue n’était pas tendu sur les problématiques du secteur, l’atmosphère était par contre très tendue devant le siège de l’UGTT parmi les salariés venus revendiquer la signature du préavis de grève.
Adossés aux murs de la centrale syndicale, trois ouvriers ont bien voulu livrer leur témoignage : la crainte pour l’avenir, la précarité professionnelle sont le fil conducteur des trois témoignages.
La majorité des entreprises textiles qui refusent les augmentations sont celles qui sont régies par la loi 72. « Elles refusent catégoriquement toutes sortes d’augmentation », nous dit l’un des protestataires et de continuer : « Ce sont les entreprises qui ont le plus bénéficié d’incitations et d’avantages qui refusent d’appliquer les augmentations », s’insurge-t-il. Non seulement le patron refuse d’appliquer les augmentations, mais il refuse également de leur reverser le trop-perçu sur l’impôt sur le revenu déduit de leur salaire avant la promulgation de la loi qui exonère les salariés dont le revenu annuel ne dépasse pas les 5000 dinars et qui figure dans la loi de finances pour 2014 . Il ajoute : »Le chef d’entreprise prétend que l’importation a tué le marché local pour dire qu’il n’est pas capable de nous payer, mais l’importation a toujours existé! », s’exclame-t-il.
Une chose est sûre, l’attachement de ces ouvriers à leur entreprise sise à la Charguia à Tunis ne fait pas l’ombre d’un doute. Un deuxième ouvrier affirme que pendant 20 ans, il n’y a jamais eu d’arrêt de travail ou de blocage. Pendant la révolution, ces mêmes ouvriers ont protégé nuit et jour leur entreprise contre les pilleurs. « Pour les remercier, face à un sit-in pacifique, leur patron a appelé les forces de l’ordre pour les évacuer de force », nous confie une ouvrière qui a passé 11 ans dans l’entreprise.
Le consensus est-t-il possible ?
Malgré l’ambiance tendue, Mohamed Ali Boughdiri, secrétaire général adjoint chargé du secteur privé à l’UGTT, ne manque pas d’utiliser des termes comme consensus et paix sociale. « L’UGTT et l’UTICA, qui ont sauvé le pays de la guerre civile, devraient pouvoir trouver une solution à l’amiable entre les ouvriers et les chefs d’entreprise ». Il poursuit : « Nous avons trouvé des solutions à l’amiable pour des entreprises dans l’incapacité de payer les salaires de leur personnel que dire des augmentations! », affirme-t-il sur un ton calme. Et de conclure : « Il faut savoir concilier la pérennité de l’entreprise d’une part et le pouvoir d’achat des salariés, d’autre part. »
A l’heure où nous quittions le siège de l’UGTT, nous avons appris que le chef d’entreprise en question a appelé les forces de l’ordre pour évacuer les sit-inneurs…