Le mauvais feuilleton d’El Kamour a pris fin, mais ses graves, très graves conséquences sur le triple plan politique, économique et social continueront à affecter la Tunisie dans les mois et les années qui viennent, à supposer que le pays tienne encore des années avec un Etat en mal d’assurance.
Les humiliations subies par l’Etat et les constats de son impuissance tout au long de ce feuilleton cauchemardesque sont consternants. Au départ des négociations avec ces quelques douzaines de jeunes d’El Kamour, l’Etat a cédé à toutes leurs demandes. Or, il se trouve que plus l’Etat cède, plus les jeunes, visiblement bien encadrés et bien conseillés par des forces occultes, relèvent le plafond de leurs exigences.
A un certain moment, et face à l’intransigeance des meneurs, l’Etat se rebiffe et dit qu’il ne peut plus aller plus loin dans l’acceptation des demandes toujours plus excessives, que ce qu’il a proposé est à prendre ou à laisser, qu’il n’est plus permis de s’opposer à la liberté du travail, que désormais l’armée prendra en charge la défense des sites de production etc.
Mais la détermination et l’arrogance des sit-inneurs, manipulés par des forces occultes n’ayant rien à voir avec le chômage et l’emploi des jeunes, d’une part, et un Etat hésitant et trop conciliant, d’autre part, ont permis à quelques dizaines de personnes d’imposer un accord humiliant qui a toutes les caractéristiques d’une capitulation des pouvoirs publics.
Ceux-ci, à force de chercher un compromis à n’importe quel prix, ont fini par compromettre le peu de crédibilité qui leur reste encore ; par mettre en danger l’équilibre précaire des sociétés productrices d’énergie dans le sud ; par aggraver les déficits des finances publiques déjà dans un état lamentable ; et surtout par créer un précédent terrible par le signal perçu maintenant par tout un chacun que l’Etat est un tigre qui a perdu ses dents et ses griffes, et qu’il est facile de le faire chanter, de le faire plier, de le faire capituler. Il suffit pour cela de rassembler quelques douzaines de jeunes et d’aller occuper un site de production stratégique ou une administration vitale pour la vie des citoyens et le tour est joué.
Maintenant que l’ « accord » est conclu grâce entre autres à la surprenante (pour ne pas dire bizarre) médiation de l’UGTT, penchons-nous sur la clause la plus importante : 1500 chômeurs seront recrutés par les sociétés pétrolières. Pour faire quoi exactement ? Les sociétés d’extraction de pétrole et de gaz, par définition, ne peuvent avoir besoin que d’ingénieurs, de techniciens et d’ouvriers hautement qualifiés, mais sûrement pas de jeunes qui n’ont jamais travaillé.
Forcer ces sociétés à recruter aussi massivement des jeunes dont elles n’ont nul besoin est contraire aux lois économiques les plus élémentaires qui veulent que tout recrutement doive répondre à un besoin et aboutir forcément à un surplus de production. Or ces 1500 jeunes non seulement ne répondent à aucun besoin, mais une présence aussi massive de gens désœuvrés et sans tâches précises à accomplir dans un site de production énergétique pourrait s’avérer un obstacle de nature à perturber la production plutôt qu’à l’augmenter. D’aucuns se demandent s’il n’est pas moins dommageable pour ces sociétés de payer ces gens tout en les gardant loin des sites de production…
Le drame est que l’Etat fait comme si le précédent désastreux des recrutements massifs de la troïka au sein de l’administration n’existait pas, qu’il n’a pas contribué aux catastrophes financières dont sont victimes les budgets de l’Etat et des caisses de sécurité sociale, et qu’il n’y a absolument aucune leçon à tirer et aucun écueil à éviter !
De telles absurdités placent l’économie tunisienne dans la situation de celui qui nage contre le courant et qui fait mine de s’étonner qu’il recule au lieu d’avancer. Dans la situation de celui qui se trouve dans un trou et qui, tout en continuant de creuser, fait mine de s’étonner qu’il s’enfonce au lieu de remonter…
Cerise sur le gâteau, si l’on peut dire, de cet « accord » proprement ubuesque : le Fonds de développement que l’Etat, se pliant aux exigences des meneurs du sit-in, a porté à 80 millions de dinars, s’engage à servir des mensualités de 500 dinars à tous ceux dont le recrutement n’est pas immédiat, mais dans quelques mois…Ce fonds ne peut mieux commencer sa fonction de développement…
L’encre avec laquelle cet « accord » a été signé n’a pas séché, quand tous les ouvriers du bassin minier de la région de Gafsa ont décidé d’entrer en « grève ouverte » jusqu’à ce que l’Etat plie et dise oui à leurs revendications. Et ce n’est que le début d’un cycle qu’on ne souhaite pas infernal.