Les périodes de canicule comme de ramadan sont propices à la redécouverte de la valeur sacrée de l’eau. Une sacralité qui a traversé l’histoire de la civilisation arabo-musulmane, comme l’attestent la mise au point des techniques hydrauliques (surtout entre les IXe et XIIe siècle) et la culture d’une symbolique de l’eau particulièrement prégnante dans les arts (littérature, poésie, architecture et art des jardins).
Avec l’affirmation des Etats, l’eau s’est affirmé comme un enjeu de souveraineté/richesse/sécurité nationales. L’avènement de la société moderne promeut aujourd’hui le « droit à l’eau » comme droit fondamental de l’individu. Une dynamique historique qui ne saurait masquer en pratique les défaillances de plus en plus manifestes.
Le droit à l’eau potable et à l’assainissement est inscrit dans plusieurs traités internationaux, soit de manière explicite dans des traités relatifs aux droits humains de certaines catégories de personnes, comme dans la Convention relative aux droits de l’enfant adoptée le 20 novembre 1989 ou la Convention relative aux droits des personnes handicapées du 13 décembre 2006, soit de manière plus implicite comme dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966.
Cependant, le droit à l’eau potable et à l’assainissement n’est pas reconnu dans les instruments internationaux de portée générale en tant que droit de l’Homme autonome. Il ne figure notamment pas dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. Une première reconnaissance mondiale a été acquise à travers l’adoption, le 28 juillet 2010, par l’Assemblée générale des Nations unies, d’une résolution qui reconnaît le droit à l’eau portable et à l’assainissement comme un « droit fondamental, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’Homme ».
Cette résolution demande aux États et aux organisations internationales « d’apporter des ressources financières, de renforcer les capacités et de procéder à des transferts de technologies, grâce à l’aide et à la coopération internationales, en particulier en faveur des pays en développement, afin d’intensifier les efforts faits pour fournir une eau potable et des services d’assainissement qui soient accessibles et abordables pour tous ».
A l’échelle régionale, des engagements de cette nature existent également. Pour ce qui est de la Méditerranée, il existe même un programme pour l’eau assumé par l’UpM, élaboré à partir des quatre piliers de la gouvernance de l’eau : l’eau et l’adaptation aux changements climatiques, la gestion de la demande en eau et le financement de l’eau. Réunis le 22 avril 2017 à Malte, les ministres en charge de l’eau des Etats membres de l’UpM ont souligné que la région méditerranéenne est particulièrement vulnérable à la pénurie d’eau, et que les changements climatiques exacerbent la pression sur les ressources existantes dans la région.
Ils ont convenu de développer un agenda pour l’eau afin d’aider les Etats membres de l’UpM à mettre en œuvre des politiques de gestion de l’eau durables et intégrées, contribuant à améliorer les conditions de vie des citoyens de la région, rappelant l’importance de l’Accord de Paris et réaffirmant leur attachement à l’agenda de développement durable à l’horizon 2030. Les ministres ont également appelé à une amélioration de l’accès aux financements afin de réduire l’impact négatif des changements climatiques sur l’eau.
Enfin, au plan national, certains Etats ont inscrit le droit à l’eau dans leur droit, parfois même au sommet de leur ordre juridique interne, au niveau constitutionnel. Dans le monde, 15 pays ont inscrit le droit à l’eau dans leur Constitution, dont la Tunisie. Ainsi, l’article 44 de la Constitution tunisienne du 26 janvier 2014 dispose que : « Le droit à l’eau est garanti. La préservation de l’eau et la rationalisation de son exploitation est un devoir de l’Etat et de la société ».
Il est bon de rappeler ici que la société civile tunisienne avait joué un rôle primordial pour l’introduction de ce droit au sein du projet de Constitution. En effet, le texte initial divulgué en juin 2011 ne mentionnait pas ce droit humain aussi vital qu’il soit. Avec cette consécration constitutionnelle, la Tunisie constitue avec l’Egypte les seuls Etats arabes qui pour le moment ont reconnu ce droit à une telle échelle normative. En effet, la nouvelle Constitution égyptienne adoptée par référendum les 14 et 15 janvier 2014 consacre dans son article 79 un certain nombre de droits économiques et sociaux, tels que le droit à l’eau et à celui de l’alimentation.
Seule ombre au tableau, la non-reconnaissance du droit à l’assainissement dans le texte constitutionnel, et ce, malgré la tentative de certains élus d’introduire, juste avant la séance de vote article par article, un amendement incluant le droit à l’assainissement, mais hélas leur proposition n’avait pas été retenue.
Le projet du nouveau code des eaux marque tout de même un point : il qualifie l’eau de patrimoine. Cela s’inscrit dans la continuité de ce que la Constitution prévoit, puisque selon l’article 44, « le droit à l’eau est garanti. La préservation de l’eau et la rationalisation de son exploitation est un devoir de l’Etat et de la société ». Mais il introduit aussi les partenariats public-privé.
Si la consécration au rang constitutionnel du droit à l’eau constitue une avancée, il demeure difficile de saisir en quoi celui-ci correspond concrètement, en particulier pour les citoyens tunisiens encore confrontés à la difficulté pratique d’accéder à une eau douce de qualité. En outre, la reconnaissance d’un tel droit fondamental devrait-elle s’accompagner d’une réflexion sur les obligations fondamentales des personnes morales et physiques à l’égard de l’usage de l’eau.
En d’autres termes, compte tenu des enjeux, il serait logique de compléter le statut de d’eau par une forme de responsabilisation collective et individuelle. L’heure n’est-elle pas à la sanction de l’irresponsabilité ?