Lors de la table ronde organisée, aujourd’hui, par l’Institut Tunisien des Experts-Comptables (ITEC) sur le thème: « Maîtrise du budget de l’Etat avec des solutions innovantes et non avec les traditionnelles augmentations des taxes », et présidée par MM. Mohamed Jarraya, expert-comptable et président d’honneur de l’ITEC, Fayçal Derbel, ministre-conseiller auprès du Chef du gouvernement et expert-comptable, Mongi Safra, Economiste, Habib Karaouli, PDG de la Capbank et Walid Ben Salah, expert-comptable, Moncef Boussanouga Zammouri, président d’honneur de l’OECT et président de l’ITEC, est revenu sur les problématiques budgétaires et a proposé une batterie de solutions.
Sur les cinq dernières années, il a constaté que l’évolution du budget de l’Etat ne respecte pas le principe d’équilibre entre recettes et dépenses, d’où pas de programmation des dépenses en fonction des recettes potentielles.
En chiffres, le président de l’ITEC a précisé que, durant cette période, les recettes propres ont augmenté de 6,2%/an, soit une hausse de 6,7% des recettes fiscales et de 3,1% des recettes non-fiscales, et ce, face à une augmentation de 11,6% des dépenses des salaires des fonctionnaires et de 8,6% des autres dépenses de gestion.
Quant à l’endettement, il a été excessif générant un service de la dette élevé. Un endettement qui a été aggravé par la dépréciation du dinar et la hausse des taux d’intérêt.
En outre, l’épargne nationale a enregistré une chute, passant de 18% en 2010 à 12% du PIB en 2016, et ce, en raison de la baisse de l’épargne de l’Etat qui est passée de 3,7 à 0,9 milliard de dinars limitant, par conséquent, l’autofinancement public des infrastructures.
De plus, Moncef Boussanouga Zammouri a affirmé que la hausse sensible du besoin de financement pousse à l’endettement. Ce besoin de financement net a été multiplié par 8 entre 2010 et 2016 et le besoin de financement brut ( remboursement du principal inclus) a été multiplié par 2,5.
De ce fait, durant la même période, le montant de la dette publique a plus que doublé pour atteindre près de 56 000 mTND suite à l’augmentation du déficit budgétaire.
Ce déficit s’explique par la faiblesse des recettes non fiscales par rapport aux recettes fiscales, l’augmentation des salaires des fonctionnaires à un niveau estimé à deux fois plus vite que les recettes de l’Etat sur six ans, et l’augmentation du taux d’endettement public (passant de 41% du PIB en 2010 à 62% du PIB en 2016).
Suite à ce constat, il importe de signaler que les principales problématiques budgétaires consistent dans le manque de maîtrise des dépenses (augmentation des salaires des fonctionnaires et manque de maîtrise des dépenses de subvention) face à une chute des recettes (réduction des recettes de l’impôt sur les sociétés pétrolières et diminution de la croissance du PIB).
Quelles solutions ?
Pour faire face, une batterie de solutions innovantes a été présentée par le représentant de l’ITEC. Il s’agit, selon ses dires, de relancer la croissance pour atteindre 5% du PIB en termes réels et améliorer par conséquent les recettes, accélérer la réforme fiscale et étendre l’assiette, maîtriser la dette et améliorer la gestion de la dette publique, relancer l’investissement public en PPP et concessions, augmenter les recettes non-fiscales par des privatisations totales ou partielles (tabac, institutions financières, logistique…), maîtriser les dépenses de fonctionnement (salaires et subventions), maintenir l’effort d’investissement public tout en maîtrisant les dépenses courantes, équilibrer le budget par une gestion pluriannuelle (prévisions sur trois ans – appliquer la nouvelle loi organique) ainsi que d’opter pour la coordination entre politique monétaire et politique fiscale…
Dans le même ordre d’idées, Fayçal Derbel a annoncé qu’il est vrai que le contexte est difficile et le climat n’est pas très propice, mais il y a de la bonne volonté pour mener les réformes. D’ailleurs, plusieurs mesures à prendre et actions sont prévues, à savoir la reconduction de la contribution conjoncturelle exceptionnelle, la mise en œuvre de tous les moyens nécessaires pour lutter contre la fraude afin d’améliorer les recettes fiscales, l’augmentation obligatoire de certains impôts et taxes, la rationalisation des dépenses publiques via par exemple la mise en place d’un plan de départ anticipé à la retraite, l’amélioration de la gestion des ressources publiques et la réduction du déficit des caisses sociales.
De son côté, Mongi Safra a préconisé d’abaisser l’impôt sur les bénéfices et d’augmenter l’impôt sur les dépenses, sur la consommation et les autres investissements non productifs, d’attirer les IDE pour résoudre beaucoup de problèmes liés à l’apport en devises, l’apport en investissement intérieur et à la relance de la croissance.
Il a en outre préconisé d’élargir l’assiette fiscale, réduire l’évasion fiscale et améliorer la collecte, de passer d’une gestion cash à une gestion actifs/passifs via par exemple des cessions de certains actifs et l’application de la nouvelle loi organique qui a une gestion dynamique du budget, d’améliorer les recettes des collectivités locales, de se procurer des ressources autres que les ressources fiscales permettant d’alléger les dépenses de l’Etat à travers la privatisation, le PPP, les concessions (le tabac particulièrement).
Dans le même sillage, Walid Ben Salah a annoncé que l’année 2018 sera beaucoup plus difficile que les années précédentes: pas de contribution conjoncturelle exceptionnelle, rappel sur les 50% d’augmentations salariales (450 millions de dinars), augmentations salariales selon les nouvelles négociations et nouvelles bases (entre 150 et 200 MDT), augmentation des cours de change et de barils de pétrole (+800 MDT au budget de compensation), un besoin de financement de la CNRPS d’au moins 800 MDT, augmentation du service de la dette par l’effet de change (entre 300 et 400 MDT).
Face à ces éléments, M. Ben Salah a déclaré qu’il y aura obligatoirement une augmentation des impôts et des taxes d’une manière ou d’une autre, un gel du recrutement et des augmentations au niveau de la fonction publique, et une demande de nouveau de reporter les échéances de remboursement de la dette.
Pour réduire un tant soit peu l’hémorragie, il a recommandé de réexaminer de nouveau le programme qui a été conclu avec le FMI, parce qu’avec les conditions de mise en place des réformes, on risque, selon ses propos, de ne pas avoir de déblocage nécessaire. Les négociations doivent, donc, aller dans le sens de l’allongement des conditions de réalisation des réformes.
Il a également recommandé de reconstituer obligatoirement le Conseil économique et social et le Conseil national de fiscalité, de trouver des solutions immédiates pour alléger l’injection de liquidité par la BCT, créer une agence nationale du Trésor pour centraliser l’ensemble de la gestion de la dette publique et, par conséquent, avoir plus de visibilité sur la dette.
Revenant sur l’allègement des dépenses de l’Etat à travers la privatisation, Habib Karaouli a estimé que la privatisation ne veut pas dire dénationalisation ou en finir avec la capacité de l’Etat en tant que maître du jeu et régulateur. Mais, l’Etat doit se concentrer sur l’essentiel et se débarrasser des accessoires, à savoir les activités concurrentielles telles que le commerce, les services marchands… Prenant l’exemple du secteur bancaire, M. Karaouli a déclaré qu’il n’est pas normal que l’Etat soit directement ou indirectement présent dans 15 banques sur les 23 banques qui existent sur la place de Tunis. L’Etat devrait donc se désengager de toutes les participations minoritaires qui ont été estimées à 1 milliard et qui peuvent être par la suite domiciliées dans le fonds du Trésor pour financer la restructuration du système bancaire. Ce modèle peut être, selon ses propos, dupliquer pour les autres secteurs afin d’accroître leur efficacité et efficience.
D’autre part, le banquier a appelé à renouer avec la confiance petit à petit, et ce, en liaison non seulement avec la stabilité sécuritaire mais avec aussi des lois, des réglementations. Cette reconstruction de la confiance aidera l’Etat à attirer plus d’IDE comme étant une approche alternative à l’endettement.
En conclusion, il a appelé à prendre urgemment les mesures qui s’imposent, donner de la visibilité et de la lisibilité, appliquer la loi, agir sur l’informel et élargir l’assiette fiscale.