La communication coule dans ses veines. C’est plus qu’un métier c’est une passion. Elle en maîtrise les règles, les signes même si elle n’hésite pas —professionalisme oblige— à en casser les codes. Elle est au sommet de son art à la tête de son entreprise Ecomevent qu’elle a fondée après qu’elle a exercé ses talents chez d’illustres enseignes. Cheffe d’entreprise, pilier de l’édition Maghreb du Huffington Post, Samia Cherif a fait montre d’exigence et de rigueur pour dessiner son empreinte sur la communication à laquelle elle s’évertue de donner autant de sens que de contenu. Elle livre sa vision sur le chemin parcouru par les femmes, 61 ans après la promulgation du Code du statut personnel en 1956.
«On ne naît pas femme, on le devient.» Si sollicitée et prisée par les défenseurs des droits de la Femme, la fameuse phrase qui prédomine l’œuvre de Simone de Beauvoir résonne presque comme une évidence pour toutes les femmes. Pourtant, à y regarder de plus près, ce propos, à l’avant-garde de tous les combats féministes, est encore loin d’être perçu comme tel. Que d’âpreté déployée face à ceux qui s’emploient à défaire ce pour quoi tant de femmes se sont battues. Un ordre auquel elles étaient assujetties et qui demeure dans quelques visions furtives ou à travers des traditions ancrées.
Lorsqu’on la rencontre dans ses bureaux du Lac 2, Samia Cherif arbore une chemise et un jean. Silhouette savamment entretenue, regard vif, notre interlocutrice semble rompue à l’exercice de l’interview. Elle, qui règne désormais en papesse sur le monde si codifié de la communication, n’éprouve aucun mal à s’approprier un sujet. Sans doute se préserve-t-elle pour des collaborateurs friands de conseils.
A l’affût de précieuses instructions, un flux de coopérateurs se pressait à son bureau. A cet égard, il est aisé de déceler, par l’image qu’elle renvoie, une femme tunisienne d’aujourd’hui, imprégnée des luttes de ses aînées et marquée par l’héritage de la première et deuxième vague du mouvement d’émancipation des femmes. «La femme tunisienne de 2017 n’est certainement pas celle de 1956. En 60 ans, de Tahar Haddad à Habib Bourguiba, la Tunisie a vu déferler un mouvement de libération des femmes qui nous vaut encore une certaine admiration de la part de nos voisins.» On ne cesse de revisiter ces moments d’histoire qui constituent encore la pierre angulaire des droits des femmes en Tunisie. Mais on occulte parfois l’apport éclatant de la cellule familiale qui rechigne, au demeurant, à lever l’écrasant poids des mœurs. Un hiatus que Samia Cherif ne manque pas de relever. «En même temps qu’ils nous ont poussées à conquérir notre liberté, celle de choisir notre destin, de circuler, de voyager, de choisir nos études, nos parents s’alimentaient à la tradition de la servitude domestique des femmes.»
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Deux segments séparent maintenant la promulgation en 1956 du Code du statut personnel de l’adoption récente de la loi contre les violences faites aux femmes. Historique, si l’on en juge par l’unanimité qu’elle a suscitée. Mais ces avancées ne se sont pas faites sans accrocs. Et on a pu entrevoir, en filigrane des passions provoquées par les débats, les limites que le couvercle atrophiant des conservatismes, les vestiges de la culture patriarcale et les lectures figées des préceptes religieux tracent à un affranchissement total des femmes.
Circonstances obligent, Samia Cherif se soustrait à la circonspection à laquelle l’astreint son statut de cheffe d’entreprise. Dire qu’être femme dépend d’abord et avant tout du dépassement de toutes les entraves culturelles, sociologiques politiques, économiques et sexuelles à l’égalité n’a en rien perdu de son envergure. Une idée derrière laquelle elle se range. «Etre libre, c’est pouvoir disposer entièrement de son corps. Etre libre, c’est être libre de ses actes, de son esprit, mais aussi de son corps. Une oppression pèse encore sur les femmes, celle du mariage, de la conjugalité. Seule la conjugalité autorise une femme à s’affranchir de la tutelle des parents… On permet cependant à une femme de quitter le nid familial quand des responsabilités professionnelles l’y obligent.» Autant de paradoxes qui s’inscrivent, selon Samia Cherif, dans un étau socioculturel que nul n’ose encore desserrer, de peur de secouer les consciences. «Je ne suis pas adepte du choc frontal, mais il subsiste de grandes limitations à l’égalité. Il y a celle liée à la liberté de vivre ou non en concubinage.» Le mariage étant pour elle un choix personnel et une entente égalitaire, il est aberrant d’entretenir l’omerta sous couvert de lois répressives. «Il y a une limitation encore plus injuste, celle liée à l’héritage.»
Tabou, le débat sur l’égalité de l’héritage a soulevé en Tunisie une levée de boucliers. Tous ceux ayant farouchement défendu cette cause conservent un souvenir amer de la confusion dans laquelle s’est noyée l’initiative du député Mehdi Ben Gharbia. Samia Cherif s’en rappelle et suggère d’autres biais. «Il est inutile de brusquer la société sur des sujets ayant trait à l’idée que chacun se fait des textes fondateurs de la religion. L’impôt permettrait d’instaurer plus d’égalité entre les deux sexes en matière d’héritage, sans heurter les sensibilités.» Car pour les plus prévenants, les victoires glanées par les femmes ne sont pas acquises pour toujours. «Il y a un sentiment latent d’inquiétude, mais il faut parvenir à la limite de toucher à nos droits pour exacerber notre volonté à nous battre pour les sauvegarder.» A l’heure où ressurgissent partout des élans réfractaires, il appartient aux femmes ainsi qu’à toutes les autres franges de la société de faire prévaloir l’humain dans sa quintessence.
A la question de savoir si les femmes ont participé à changer l’image du pays, Samia Cherif répond : «Oui, incontestablement oui.» Elles ont été un vecteur d’influence de la transition démocratique, non en simples faire-valoir, mais en véritables actrices du changement. C’est un constat qui brille avec éclat à l’étranger. «Les témoignages qu’on a reçus lors du forum organisé par le Huffington Post Maghreb sur le vivre-ensemble à l’Institut du Monde arabe sont la preuve vivante de l’exception de la femme tunisienne dans le monde arabo-musulman, d’autant plus que la perception de l’image du pays reste quelque peu brouillée par une oscillation permanente entre progrès et régression.» Les thuriféraires peuvent, certes, s’enorgueillir d’un statut exceptionnel et d’une ardeur résolue de la société civile à ne point se laisser abuser ou confisquer sa révolution, il n’en reste pas moins que dans une Tunisie, où la marche s’effectue à deux vitesses, il y a encore beaucoup à faire pour les femmes confinées dans les régions les plus reculées du pays. «A celles qui tiennent le haut du pavé de montrer la voie. Il y a désormais une loi qui joue en faveur des femmes les plus démunies face aux abus et on a une société civile qui veille au grain afin que toutes les femmes aient accès aux mêmes droits.»
Sa propension à vouloir bousculer l’ordre établi est aux antipodes de l’image de cheffe d’entreprise lisse que ses traits juvéniles pourraient lui conférer. Le contraste est saisissant. Le temps semble avoir eu peu d’emprise sur sa fougue. Quelques années déjà depuis ses premiers pas à l’IHEC et son immersion dans l’univers de la communication.
Avant de fonder sa propre agence «EcomEvent PR & Events Agency», Samia Cherif définit les stratégies de communication du groupe Canal + Horizon. Avec sa bande d’acolytes, elle «participe au lancement en clair des émissions phares de la chaîne». Châms Alik, la série télévisée «au ton libre» réalisée par Néjib Belkhadi donne un coup de pied dans la fourmilière. On reconnaît facilement la patte du groupe Canal + qui faisait alors de la transgression des codes sa marque de fabrique. En 2013, on lui propose la direction du Huffington Post Maghreb. Les soubresauts qui secouent le monde arabe, le vent de liberté qui souffle sur la région donnent du grain à moudre. «Très liée aux réseaux sociaux», les éditions Tunisie/ Algérie/ Maroc du Huff Post donnent un espace de liberté aux blogueurs pour relater leurs histoires et poser leur regard sur les débats qui animent la société. Dans le bouillonnement actuel, le Huffington Post s’intéresse autant aux trains qui déraillent qu’à ceux qui arrivent à l’heure et font la singularité de la mosaïque tunisienne. Et quand elle s’arrête un instant sur ce brillant parcours, Samia Cherif affirme n’avoir jamais souffert d’une infériorisation reliée au genre.
«La négociation se faisait toujours d’égal à égal.» Etre femme impose, évidemment, une détermination accrue pour mériter sa place. «La tradition est encore plus forte que les règlements et nous percevons dans le domaine professionnel certaines inégalités; cette facilité de croire qu’il existe des disciplines réservées aux hommes et d’autres aux femmes», déplore Samia Cherif. Et de surenchérir : «Il n’y aura d’égalité que lorsque les femmes briseront le plafond de verre pour accéder à la magistrature suprême et à tous les postes de responsabilité et nous avons, nous femmes, un devoir de transmission pour abattre les injustices.» Une femme est un homme comme les autres. Le seul fait d’être femme ne peut, néanmoins, toujours servir d’argument. «Quand je reçois un CV, je ne fais pas de distinction entre homme et femme. Ce que je reproche toutefois aux jeunes, c’est de vouloir aller trop vite. L’assistanat et le manque de rigueur nous dévorent.» Quelle entreprise, alors, mettre en œuvre pour faire évoluer les mentalités? L’engagement politique, l’idée lui taraude l’esprit. Accompagner l’histoire qui est en train de s’écrire, c’est bien. L’écrire, c’est mieux. Une candidature aux élections municipales n’est pas écartée. Les ors du pouvoir se confondent si aisément avec lui. Du reste, le pouvoir politique ne permet-il pas de distribuer équitablement les droits et les devoirs entre tous les citoyens! «C’est là le véritable engagement», dixit Samia Cherif.
mathématiquement parlant .
l’affaire de l’héritage se résume en une équation à somme nulle :
cher Samia, votre frère vous ponctionne une part d’héritage mais votre mari (en ponctionnant celle de sa sœur à l’avantage de votre couple) vous rétablit dans l’égalité sociale et sociétale et dans l’équivalence de la solidarité collective.
Pas du tout, parcque sa reste au bon vouloir du mari. Par conséquent, la femme n’est techniquement pas indépendante puisqu’elle dépend du bon vouloir de sont mari…
tapis berbère hiver 2019