Les élections municipales,prévues pour le 17 décembre 2017, viennent d’être reportées à une date provisoire celle du 25 mars 2018. Quel impact aura leur report de trois mois et que faut-il en conclure ? Jinan Limam, enseignante universitaire à la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis dresse un état des lieux du processus électoral. Interview:
-Quel est l’impact du report des élections municipales?
Pour les citoyens, le report se traduira par le statu quo institutionnel au niveau de la gestion des municipalités puisque les délégations spéciales, à savoir les structures provisoires désignées par le chef du gouvernement et présidées par des délégués ( appartenant à l’administration déconcentrée mais qui se trouvent à la tête d’une structure décentralisée) continueront à gérer les affaires courantes avec zéro légitimité et une efficacité très limitée.
Le report est synonyme aussi de maintien de l’état chaotique de nos villes au niveau des services et des structures de proximité, de la détérioration de notre cadre par rapport à la qualité de la vie ainsi que de l’ancrage du mal-être et de la crise de confiance vis-à-vis du pouvoir politique.
-Qu’en est-il sur le plan politico-juridique?
Le report des élections municipales est porteur d’un message négatif sur la sincérité de l’engagement des acteurs politiques dans la transition vers la démocratie locale et dans le processus de mise en œuvre de la décentralisation, un processus qui semble s’enliser avant même de commencer.
Dans un contexte de transition, entamé en Tunisie depuis le 14 janvier 2011 sur fond de revendications réclamant plus de liberté, de dignité et exigeant un équilibre au niveau du développement entre les régions, la promotion du « local » tarde paradoxalement à devenir une réalité politique et juridique. Cependant, quelques choix décisifs ont été adoptés par la Constitution du 27 Janvier 2014 en faveur d’une nouvelle organisation de l’Etat, fondée sur le principe de la décentralisation dans le respect de l’unité de l’Etat. La Constitution met ainsi en place un véritable pouvoir local, qui se caractérise par sa généralisation sur l’ensemble du territoire ; le renforcement de l’autonomie des collectivités locales (les municipalités, les régions et les districts) aussi bien au niveau politique, fonctionnel et financier et la consécration du principe de solidarité pour faire face aux disparités régionales de nature spatiale, économique et sociale. De plus, l’adoption d’un code des collectivités locales ainsi que d’autres textes juridiques sectoriels sont indispensables non seulement pour la tenue de ces élections mais surtout pour permettre l’entrée en vigueur du chapitre 7 de la Constitution relatif au pouvoir local (conformément aux exigences de l’article 148 de la Constitution).
Les élections municipales doivent constituer une priorité car elles seront la première étape dans la mise en place d’un pouvoir local. Ce pouvoir est l’un des leviers essentiels de démocratisation et un facteur primordial de développement durable et équilibré entre les régions. Il s’agit bien évidemment d’un long processus semé d’embûches au cours duquel il faut avancer « étape par étape» en fonction de la capacité administrative, financière, technique et humaine des collectivités locales.
-Quelles sont les conséquences vis-à-vis du processus électoral ?
Le report des élections municipales implique pour l’ISIE la préparation d’un nouveau calendrier électoral en fonction de la nouvelle date retenue et la refonte de tout le travail d’organisation logistique et administrative déjà effectué sans oublier le flou et les complications que cela génère au niveau de la gestion par l’ISIE de son personnel, notamment contractuel.
En effet, l’ISIE, qui a recruté des contractuels pour les élections municipales qui devaient terminer leur travail en janvier 2018, sera amenée à prolonger leurs contrats. Tout cela a bien évidemment un coût financier important. Personnellement, en tant que citoyenne et en tant que contribuable, j’exige que l’ISIE nous communique le coût du report des élections municipales.
Pour les candidats, je crains une démobilisation puisqu’ils seront amenés à refaire tout le travail déjà effectué pour réunir les pièces exigées par la loi électorale n° 2017-7 du 14 février 2017 pour la demande de candidature, notamment en ce qui concerne le justificatif de la déclaration annuelle d’impôts sur le revenu pour l’année écoulée et le quitus des taxes municipales .
Au niveau du cycle électoral, ce report constitue un véritable élément perturbateur puisqu’il conduira à la tenue d’élections successives en un laps de temps relativement court (printemps 2018-automne 2019): élections municipales, élections législatives et les deux tours des élections présidentielles sans oublier les élections régionales dont on ne parle pas jusqu’à présent mais qui sont aussi l’un des piliers du pouvoir local. Un tel calendrier électoral surchargé avec la multiplication des scrutins à des dates rapprochées affectera négativement la mobilisation des électeurs et se traduira sans doute par des taux de participation qui tendront à la baisse d’un scrutin à un autre.