Les constats sont unanimes pour dénoncer une situation négative des biens, tous profils confondus, confisqués. Les parties concernées, lINLUCC et le CNC particulièrement tirent la sonnette d’alarme.
Il était temps de poser pareilles questions et de s’enquérir de la situation en ce qui concerne les biens confisqués depuis 2011. L’institution ainsi nommée et qui a été utilisée pour mettre sous l’autorité de l’Etat les biens, meubles et immeubles, appartenant au clan du président déchu, de leurs proches et de leurs complices, a fait l’objet tout au long de ces sept années de nombreuses critiques pour sa gestion considérée désastreuse. A-t-elle été bien menée et, par voie de conséquence, porté ses fruits, en l’occurrence a-t-elle permis à l’Etat de récupérer peu ou prou les fonds confisqués ? Ceux déjà vendus ont-ils été cédés à bon escient et ont-ils rapporté des fonds comme escompté lors de leur estimation ? Ceux qui sont encore sous le coup de la confiscation ont-ils été préservés comme il se doit ?
Le coût des dettes l’emporte
D’autres questions, d’égale importance, se posent avec insistance, relatives cette fois à l’évaluation de ces biens. A-t-elle été faite de manière appropriée ?
Toutes ces questions et d’autres encore ont fait l’objet durant toute la journée du jeudi 19 octobre 2017 d’une rencontre nationale à laquelle un aréopage de spécialistes, de techniciens et de représentants de l’Etat a été invité pour tenter d’y répondre. Organisée par l’INLUCC ( l’instance nationale de lutte contre la corruption) en coopération avec le CNC (comité national de la confiscation), cette journée a permis au parterre d’invités qui ont suivi ses activités programmées de lever le voile sur un vécu trop longtemps mis à rude épreuve de la critique et de la contestation même.
Quatre volets ont été répartis sur toute la journée. Le premier, présenté successivement par Mounir Ferchichi (président du CNC) et Khaled Krichi du Comité de la vérité et de la dignité (AVD) a été consacré à l’examen de la législation en vigueur concernant la confiscation comme outil de lutte contre la corruption.
Le second, présenté par Zaher Thebti (ancien membre de la Cour des comptes et instructeur au sein de l’INCLUCC) et Rejeb Besrour ( conseiller au ministère des Domaines de l’Etat et Affaires foncières) a étudié les lacunes et insuffisances au niveau des textes appliqués à la confiscation ainsi que les procédures et les étapes d’exécution la concernant.
Le troisième volet, présenté par Khamoussi Laâbidi (juge) Anis Attia ( comité de gestion des biens confisqués) et Jawher Taktak ( expert-comptable) , a été focalisé sur l’examen des problématiques posées lors des étapes de la confiscation, plus précisément en amont et en aval de sa mise à exécution.
Le dernier volet, animé par Ahmed Soueb (ancien juge au Tribunal administratif) et Anis Souissi (CNC) a été consacré à la mise en évidence des meilleures pratiques à mettre en œuvre dans le cadre de la confiscation.
Les biens confisqués sont grevés de dettes
Le constat a été unanime. La confiscation, telle qu’elle a été menée depuis le décret-loi qui l’a instituée le 14 mars 2011, n’a pas donné les résultats escomptés. Trop d’entraves ont alourdi sa mise à exécution et entravé grandement ses prédispositions initiales. Voulue comme étant instrument de lutte contre la corruption, elle a été handicapée par de nombreux facteurs aussi bien logistiques que temporels. En de nombreuses occasions, elle a vu ses prérogatives limitées. Une remarque faite par l’un des participants à la rencontre illustre bien ce constat : « Les biens confisqués sont grevés de dettes. Au lieu de destiner une partie de ces biens à l’alimentation des caisses de l’Etat, ils ont servi à éponger les dettes et essuyer un tant soit peu l’ardoise ».
Le facteur temps, surtout, a eu des effets délétères sur les biens confisqués. Une manifeste et bien coûteuse dépréciation a pesé de tout son poids sur ces biens. Aussi bien les immeubles que les voitures et les actions des sociétés confisqués ont grandement subi le revers du temps et leur coût vénal a pris un sacré coup, tel le cas des voitures confisquées. Le problème que ces conditions sont condamnées à aller crescendo si des mesures urgentes et conséquentes ne sont pas prises dans les plus brefs délais. D’ailleurs c’est l’un des objectifs de la rencontre de jeudi dernier. Une sorte de SOS au contenu bien clair.
Décrépitude et laisser-aller
Chawki Tabib, en ouverture, a clairement mis en évidence ces aspects négatifs appelant à une impérative meilleure prise en charge du dossier de la confiscation et à une coopération plus engagée de la part de tous les partenaires concernés. La réalité du dossier rend nécessaire pareilles conclusions. Les lacunes recensées jusque-là témoignent de cela comme l’a souligné Nejib Ktari, premier président de la Cour des comptes. Et d’insister sur des cas de laisser-aller, de décrépitude des biens, ce qui a entraîné une nette dévaluation de ces biens. De même, il a pointé du doigt l’opération de mise sous séquestre qui n’est pas exempte de soupçons de corruption. Pour ce qui est des retombées financières, elles ont servi, a-t-il fait remarquer, à éponger les dettes que la gestion peu rigoureuse de ces biens ont occasionné.
Le professeur Mounir Ferchichi a, pour sa part, insisté sur la nature juridique de la confiscation. Est-elle une sanction exclusivement ou une initiative de recouvrement des droits ou les deux en même temps ? Et d’insister sur le fait que la confiscation doit être un instrument de lutte contre la corruption d’une manière générale et non pas destinée à lutter contre une corruption bien déterminée. Poussant son analyse, Pr Ferchichi a toutefois axé ses remarques sur l’institution de la confiscation civile en tant que sanction complémentaire visant à restituer les biens et les droits spoliés. Citant les expériences internationales en la matière, il a conclu que le cas tunisien s’en est inspiré. Toutefois, un travail législatif reste à accomplir.
Obstacles structurels et administratifs
Les intervenants qui se sont relayés par la suite ont insisté sur les aspects lacunaires de la manière avec laquelle la confiscation est gérée en pratique. Hédia Hedfi a présenté un état chiffré des biens , mobiliers et immobiliers , confisqués (voir détail publié le 19 octobre par le site leconomistemaghrébin.com). Khaled Krichi a, de son côté, mis l’accent sur le cas de l’Instance vérité et dignité et du peu de temps qui lui est imparti encore pour mener à son terme sa mission. La confiscation est, selon lui, une partie non négligeable de la justice transitionnelle, ce qui suppose des mesures exceptionnelles.
Pour Zaher Thebti, le dossier de la confiscation est chargé de lacunes sur le plan de la pratique particulièrement. De nombreux obstacles administratifs et structurels ont longtemps paralysé le travail de l’instance. Rejeb Bessrour, en ce qui le concerne, a mis en exergue certaines des embûches liées à la confiscation. Un constat qui a eu un large retour d’échos dans les travaux du colloque.