Le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES) appelle, dans son rapport, à une révision profonde du système fiscal tunisien. Mounir Hassine, président de la section FTDES de Monastir et co-auteur, revient sur le diagnostic et les solutions à adopter.
D’après le co-auteur, le système fiscal tunisien souffre de plusieurs dysfonctionnements dont les plus importants sont :
Dysfonctionnement dans le partage de la charge fiscale entre les contribuables
Alors que les salariés participent à hauteur de plus de 80% des impôts directs, la masse salariale ne représente que environ 40% du PIB. A l’opposé, le régime fiscal forfaitaire ne fournit que 3% des impôts sur le revenus et moins de 0.5% des revenus de la fiscalité. Grosso modo, les non-salariés participent à hauteur de 18% environ des revenus des impôts indirects, sachant que 80% de cette participation sont fournis par les sociétés pétrolières et les sociétés de communication.
Un exemple : la moyenne des impôts directs pour les commerçants et les industriels atteint environ 125 dinars par personne annuellement, alors qu’elle est d’environ 3400 dinars pour les professions libres non commerciales. La moyenne de l’impôt sur le revenu pour les salariés atteint, elle, plus de 1400 dinars, contre une moyenne d’environ 500 dinars pour l’impôt sur les bénéfices non commerciaux et environ 80 dinars pour l’impôt sur les bénéfices dans le régime forfaitaire. La pression fiscale exercée sur les salariés engendre un recul continu du salaire net qui ne représente plus que 70% du salaire brut.
La hausse des contributions fiscales et le recul des prestations sociales
En plus, le recul du rôle de l’Etat dans le domaine de la redistribution des revenus entraîne la marchandisation d’un bon nombre de prestations sociales entièrement ou partiellement. Cette marchandisation s’opère par le biais de la suppression progressive de la politique de compensation des produits de base, ou en faisant assumer aux familles la prise en charge de parts de plus en plus élevées du coût de nombreux services, comme la santé, l’éducation, la formation professionnelle, etc. dans un cadre économique caractérisé par le recours à l’exportation et à la demande extérieure pour réaliser la croissance, et la transformation de l’emploi et des salaires en variables régulatrices du cycle économique.
De même, la fiscalité a perdu son rôle dans la redistribution des revenus, entraînant le changement de la répartition des charges fiscales au profit du secteur privé et le changement de la répartition des dépenses publiques aux dépens les catégories sociales moyennes et faibles.
Les facilités excessives, les avantages et l’exonération, au profit du secteur privé
Celui-ci bénéficie de plusieurs avantages stipulés par le Code d’incitation aux investissements : les baisses fiscales, les exonérations provisoires, les primes et aides et l’exemption des intérêts sur les prêts et des versements des participations sociales. Ces avantages ont transformé le système du droit public fiscal en un système d’exception. Ce qui signifie, nécessairement, le renoncement par l’Etat à des ressources fiscales importantes pour réaliser d’autres objectifs économiques, tels que l’augmentation de l’investissement, l’emploi et l’exportation.
L’évasion fiscale est caractéristique du système fiscal en Tunisie
Elle est due essentiellement à la législation fiscale elle même, aux structures économiques, à la faiblesse des structures fiscales et à l’absence du sens civique inhérent à l’État de droit. La législation fiscale se caractérise par sa complexité et l’incohérence de ses objectifs. Cela ouvre la porte à l’interprétation, aux pots de vin et à la corruption multiforme. Ce qui encourage à donner la préférence au régime des personnes physiques aux dépens du régime des sociétés anonymes ou de celui des sociétés à responsabilité limitée, et la préférence au régime forfaitaire sur le régime réel. Quant à l’administration fiscale, elle se distingue par sa faiblesse au niveau des ressources humaines et matérielles. Ce qui se répercute sur la qualité du travail sur le terrain.
Certaines estimations indiquent que l’évasion fiscale coûte à l’Etat des ressources énormes qui pourraient dépasser la moitié de son budget. Le système fiscal est inefficace parce qu’il se base sur le régime forfaitaire, qui est inefficient parce qu’il est impuissant à combattre l’évasion fiscale. Les gouvernements continuent à maintenir, les lois d’amnistie fiscale dans le but d’inciter les évadés fiscaux à régulariser les impayés et leurs impôts, en leur accordant des exonérations.
Cette amnistie n’a pas profité au budget de l’État, malgré le nombre important de lois de ce type depuis des dizaines d’années. Bien au contraire, l’amnistie est devenue un facteur d’encouragement à l’évasion fiscale, du fait de leur répétition. Les objectifs déclarés de mobilisation des ressources fiscales au profit de la trésorerie de l’État demeurent hors de portée.
Six propositions de réforme pour le système fiscal
Six propositions ont été formulées pour une profonde réforme. Il s’agit de :
1- Arrêter l’application du système actuel des avantages, vu sa rentabilité très faible, et le remplacer par un nouveau régime, dans le cadre de politiques sectorielles basées sur des relations contractuelles garantissant l’obtention d’avantages, en contrepartie de l’engagement pour la réalisation d’objectifs concertés (emploi, investissement…);
2- Simplifier les textes fiscaux et les regrouper dans un seul code;
3- Entreprendre une vraie réforme fiscale en adéquation avec la Constitution de janvier 2014 et les chartes et les pactes internationaux pour réaliser la justice fiscale;
4- Limiter les décisions d’amnistie fiscale, et appliquer les lois et les législations pour combattre l’évasion fiscale, et doter les structures responsables de tous les moyens humains et techniques pour le faire;
5- Veiller à intégrer le secteur informel au secteur économique organisé;
6- Améliorer le rendement de la fiscalité locale, en confiant aux collectivités locales de nouvelles prérogatives, dans le cadre de la redistribution du pouvoir et du renforcement de la démocratie locale.
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