La politique, « c’est la paix, la cohésion, le rassemblement, le vivre ensemble » (Jean-Pierre Rafarin, entretien Le Figaro, 11 aout 2017). Un ouragan a déferlé sur la Libye. Le conflit a basculé de revendications à caractère démocratique à l’institution d’une guerre civile, opposant de nombreuses visions politiques: fondamentalisme religieux, nostalgie passéiste ou tribale, libéralisme et ouverture. Comment sortir des tempêtes?
Présentée au cours d’un forum de la Ligue arabe (Tunis, 23 novembre 2017), la recherche du professeur Moncef Ouanes, Directeur du CERES et spécialiste de l’étude des dynamiques des sociétés au Maghreb, tente d’avancer une vision prospective (La Libye que j’ai vu, la Libye que je vois, l’épreuve d’un pays, Mediterranean publisher, à paraître Tunis. 2018).
Faisant valoir l’établissement d’une « société libyenne nouvelle », l’auteur affirme, à juste titre, que la tribu y constitue désormais l’institution fondamentale. Sous Kadhafi, les tribus entretenaient des relations de soumission, plutôt que d’alliances avec le pouvoir, selon la formulation khaldounienne de la « assabiya », mais la disparité de l’autorité d’antan a dégagé les tribus de son emprise et libéré leurs marges de manœuvres. Peut-on parler désormais de « société bloquée », concept mis en œuvre par le chercheur? (pp. 63 – 82). Dans ce cas, on est régi par « la raison unique » et « la vérité absolue ». On parle désormais par « procuration », alors que le gouvernement est l’art de se mettre à l’écoute des autres (p.39).
Le chercheur distingue, d’autre part, trois principales étape de l’histoire politique récente de la Libye :
- Les débuts de l’unification de la société et sa soumission à une autorité centrale (période idrisside);
- L’étape de « la société bloquée the strand society », sous Kadhafi;
- L’étape de « la société fracturée », déchirée, depuis « la révolution ».
Le professeur Moncef Ouanes présente les principales caractéristiques de la société bloquée: absence d’un contrat social et moral, absence d’une politique de concordance fondée sur une participation collective, mauvaise distribution des biens nationaux- le revenu pétrolier dans le cas libyen- , blocage de la dynamique de modernisation.
L’auteur attribue ces tares au régime jamahirien (populaire), avec lequel il prend ses distances. La crise libyenne, depuis Kadhafi et sous le régime actuel allie et réalise la conjonction de quatre raisons : la raison d’hégémonie du pouvoir, la raison tribale, la raison morale et la raison du butin (pp. 274 – 275). La Libye aurait besoin d’une « révolution culturelle et d’une reconstruction de la raison (politique) », c’est-à-dire, « une raison qui rassemble, non hostile à la différence et à la diversité, la civilité étant essentiellement la diversité et l’esprit de la différence, condition sine qua non de la construction de l’Etat et de la société » (p. 275). Ces difficultés immenses sont instrumentées par le jeu des acteurs régionaux.
En conclusion, le chercheur affirme que la déchéance de l’Etat et de ses institutions a été complète entre 1969 et 2011, la tribu devint, avec ses milices, l’agent mobilisateur, depuis l’ère post-Kadhafi. Ce qui exige des « profondes révisions » (p. 311): refondation d’un état civil juste, démocrate, reconstruction de l’armée et de l’institution sécuritaire, reconstruction de l’économie et des différentes institutions scolaires, culturelles et sanitaires, modernisation globale. Peut être faudrait-il se rappeler, cette exigence préalable, l’institution de la sécurité, avant la reconstruction de l’Etat.
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