Encore une fois, Solidar Tunisie vise en plein dans le mille en orchestrant un débat à portée juridique certaine et, en même temps, à grande incidence politique. Elle vient d’organiser un séminaire ayant pour thème les instances constitutionnelles indépendantes auquel elle a invité un collectif de spécialistes, dont les présidents de quelques-unes de ces instances.
Le thème proposé, d’une actualité brûlante, a été articulé autour de nombreuses questions de l’heure portant sur ces structures que le législateur a entouré d’une attention particulière, du fait de l’extrême sensibilité de l’objet de leur action et de leur impact sur le plan politique. Aperçu d’un débat qui n’a pas fini de nourrir les attentes de tous. Le programme proposé à l’occasion a été réparti en trois séances. La première, réservée à la présentation de la vision des différents pouvoirs en ce qui concerne la place qu’occupe ces instances, a encadré le sujet du séminaire.
En ouverture, Mme Hella Aloulou de Solidar Tunisie a souligné l’importance du bilan à faire à ce propos et ce afin de tirer les enseignements appropriés pour mieux encadrer cette démarche constitutionnelle. Chawki Tabib, président de l’INLUCC, Nouri Lajmi, président de la HAICA et Salsabil Klibi ont fait valoir les particularités de la situation des ICI et les instances qui les concernent directement.
L’état des lieux
Le rapport de Solidar explore la réalité des ICI et met en exergue aussi bien leurs caractéristiques que les obstacles auxquels elles sont confrontées. Focus sur un rapport aux potentialités multiples.
A l’instar de nombreux pays, la Tunisie s’est engagée dès la seconde moitié du siècle dernier sur cette voie avec, toutefois, des spécificités qui lui sont propres. Trois phases clés le prouvent.
En effet, la Constitution de 1959 a créé plusieurs autorités indépendantes de profil juridique uniforme. Il s’agit d’autorités administratives indépendantes qui ont un rôle essentiellement de régulation, et ce, afin de contenir, un tant soit peu, la domination de l’Etat en ce qui concerne les secteurs de grand impact socioéconomique. Tel le cas du marché financier (1994), des communications (2001), des données personnelles (2004) et des assurances (2008).
La deuxième catégorie de ce genre de structures continue dans ce sens, tout en modifiant leurs profil et champ de manœuvre. Ainsi, les autorités publiques indépendantes ont été créées en 2011 avec l’objectif de mettre en place plus d’efficacité et de souplesse dans l’approche et l’action; et ce, pour pallier l’urgence de pourvoir le pays, durant la phase politique et institutionnelle transitoire, de structures capables d’efficacité, de transparence et de souplesse. Ainsi, ont vu le jour, en même temps, en l’occurrence le 18 février 2011, l’Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, le Comité national de la quête de la vérité concernant la corruption, le Comité national de la quête de la vérité en ce qui concerne les dépassements enregistrés à partir du 17 décembre.
Le Comité national indépendant pour la réforme de l’information et de la communication a été créé, quant à lui, le 2 mars 2011. Il est approprié de noter à propos de cette démarche qu’une particularité s’impose concernant ces structures. Il s’agit du fait que le législateur, tout en leur reconnaissant le profil d’institutions publiques indépendantes, n’a pas spécifié qu’elles ont une personnalité juridique et qu’elles ont une indépendance financière.
La première instance indépendante qui est dotée de personnalité juridique est l’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE), créée par le décret-loi n°14 de l’année 2011. L’Instance supérieure indépendantes de la communication audiovisuelle et d’autres instances indépendantes allaient voir le jour par la suite. Celle de lutte contre la torture (2012) et l’Instance vérité et dignité (IVD), en 2013.
La troisième phase a vu son démarrage avec la promulgation de la Constitution du 27 janvier de 2014. Tout un chapitre a été consacré aux instances constitutionnelles indépendantes. Mais la mise en application s’est heurtée à plusieurs obstacles, nous informe le rapport de synthèse, puisque plusieurs instances constitutionnelles sont restées lettre morte, et ce, jusqu’en 2017. A ce jour, les choses piétinent et les critiques fusent de partout, surtout après le projet de loi du gouvernement concernant les instances constitutionnelles indépendantes. L’opposition soulevée à ce propos a poussé à la révision du projet présenté et son remplacement. La nouvelle version s’est heurtée, elle aussi, à une critique virulente, laquelle a été confirmée le 8 août 2017 par la décision d’anti-constitutionnalité dudit projet.
Les recommandations de Solidar
Le rapport de Solidar a proposé des recommandations relatives aux quatre paliers de l’intérêt porté aux instances constitutionnelles indépendantes.
Le choix constitutionnel
- Recours à la loi pour résoudre le cas de l’anti-constitutionnalité, particulièrement en ce qui concerne le cas du retard du renouvellement des membres et celui du président de l’instance. Pour ce dernier cas, il est proposé de limiter le droit à la candidature aux juges et aux enseignants universitaires, pour le cas de l’instance de l’accès à l’information;
- Il est impératif de revoir les modalités concernant l’élection du président afin de prévoir un troisième tour, le cas échéant.
Consécration du principe d’indépendance
- Il importe de distinguer entre les prérogatives du conseil de l’instance, de celles de son président et de son appareil exécutif. Ce dernier doit être impérativement neutre;
- Pour réduire les cas de conflit de compétences entre le conseil de l’instance et son président, le conseil et son appareil exécutif, il faut déterminer d’une manière précise les prérogatives de chacun dans le règlement intérieur de l’instance qui doit être soumis à la consultation obligatoire du Tribunal administratif;
- Revoir la composition des instances et ce par le biais d’une révision des compétences obligatoires exigées pour diriger ces instances;
- Veiller à garantir la pérennité de l’action de l’instance même en cas de vacance au niveau de la présidence et ce par le biais de règles précises à appliquer en cas de besoin;
- Le choix des membres doit se faire sur la base de la compétence et de l’expérience;
- L’obligation de publication des décisions de l’instance relatives à la détermination de la première liste des candidats.
- Fixer des dates raisonnables pour les oppositions;
- Permettre au requérant de prendre connaissance du contenu de la décision de sorte qu’il puisse le cas échéant l’attaquer en justice;
- Penser à élaborer un règlement qui fixe les règles de gestion des ressources humaines des instances indépendantes, en attendant d’élaborer un règlement spécifique pour chacune d’elles.
- Elaborer un rapport annuel unifié pour les instances indépendantes comportant la gestion financière, le quitus des commissaires aux comptes, ce qui permet au parlement de procéder au contrôle;
- Arbitrer les conflits entre les instances et le ministère des Finances par le biais du comité financier.
Contrôle des instances indépendantes
- La gestion des instances indépendantes met en exergue bien des défis. C’est pourquoi, le contrôle doit être fondé sur le critère du degré de respect des instances des règles de la bonne gouvernance, de l’efficacité de l’intervention de celles-ci et de la transparence de leurs méthodes de gestion;
- Réviser la méthodologie d’évaluation des candidats;
- Garantir l’accès à l’information, tout en préservant les données personnelles.