« Le Fonds monétaire international (FMI) reste optimiste sur la Tunisie malgré des difficultés évidentes », estime Björn Rother, chef de mission du FMI pour la Tunisie, dans cette interview accordée à l’Economiste Maghrébin n°736 du 4 au 18 avril 2018. Extraits.
A chaque fois, on assiste au même scénario : le Fonds recule ou retarde l’échéance au motif que le pays n’a pas suffisamment avancé dans les réformes et finit par céder. Signe que le processus est déjà engagé au milieu d’énormes difficultés et donc qu’il a besoin de temps ou y a-t-il d’autres considérations d’ordre politique ?
Le FMI accompagne la transition politique et économique en Tunisie depuis le début. Compte tenu de ce qui est en jeu pour le peuple tunisien et pour toute la région, le FMI a toujours été clair quant à sa priorité : aider le pays à réussir. Toute l’institution soutient sans équivoque cet engagement, de l’équipe technique jusqu’à notre directrice générale Christine Lagarde. Et notre engagement a été compréhensif : nous aidons la Tunisie avec des financements, des conseils politiques sur les décisions et réformes macro-économiques, et une assistance technique étendue, par exemple sur l’administration fiscale et la supervision bancaire. Grâce à cet engagement global, nous fournissons un point d’ancrage important au programme de réforme économique du gouvernement, qui est scruté de très près par la communauté internationale. Une part importante de l’aide financière de la Banque mondiale, de la BAD, de l’UE et d’autres partenaires dépend du bon déroulement du programme avec le FMI.
Notre soutien n’a jamais été basé sur une adhésion rigide à une voie d’ajustement sur laquelle nous nous sommes mis d’accord à un moment donné. Ce n’est pas réaliste compte tenu de l’évolution rapide de la situation économique et politique de la Tunisie. Par exemple, le Fonds a réagi rapidement en mettant à jour les projections et objectifs macroéconomiques afin d’intégrer l’impact économique des attentats terroristes de 2015 et d’autres conflits régionaux. En fait, c’est la flexibilité en pleine oeuvre : nous nous sommes efforcés d’équilibrer soigneusement le maintien des objectifs principaux de notre engagement– en particulier une croissance plus élevée qui profite à tous les Tunisiens et pas seulement à un groupe privilégié, une stabilité macroéconomique et une protection sociale adéquate – et l’adaptation de manière flexible de nos objectifs intermédiaires aux circonstances politiques et économiques changeantes. Cette approche signifiait parfois prendre plus de temps que prévu pour identifier une voie réalisable pour les réformes afin d’assurer l’adhésion des parties prenantes. En échange, nous avons reçu des engagements fermes en matière de réformes qui soutiennent les projections favorables à une amélioration à l’avenir.
Plus précisément, au cours de la période qui a précédé la deuxième revue de l’accord (signé en 2016), l’accélération de l’inflation, l’endettement élevé et la faiblesse des réserves internationales ont nécessité des réponses politiques fortes. Nous avons repoussé les dates limites prévues initialement afin de donner plus de temps pour la consultation nécessaire avec les autorités tunisiennes sur les mesures qui répondent aux déséquilibres macroéconomiques et répartir équitablement la charge de l’ajustement sur toutes les composantes de la société. Dans le même temps, nous devons protéger les ménages les plus vulnérables, ce qui est nécessaire à la réussite des réformes. Par exemple, les autorités et le FMI se sont mis d’accord sur davantage d’efforts pour renforcer la collecte des impôts et des arriérés fiscaux, une taxation plus importante des professions libérales et de leurs services, et une réforme compréhensive de la fonction publique. Nous avons travaillé avec les autorités pour trouver des solutions qui respectent leurs propres contraintes nationales.
Entre les difficultés qu’éprouvent les Tunisiens à prendre à bras-le-corps les nécessaires réformes à cause des difficultés de la transition politique et la feuille de route à laquelle ils se sont engagés, de quel côté balance votre coeur ?
Les réformes économiques qui vont à l’encontre des intérêts acquis devenus trop coûteux ne sont jamais faciles. Et l’expérience tunisienne après 2011 n’a pas fait exception. Les tensions sociales et politiques en cours sont une indication claire que les aspirations du peuple tunisien – pour les opportunités, la prospérité et l’équité – restent non réalisées. L’ancien modèle économique de la Tunisie, fondé sur une présence importante de l’État dans l’économie et une concurrence limitée dans les secteurs clés, a atteint ses limites face à l’ampleur de la dette et à l’inefficacité généralisée. À mon avis, par ailleurs conforme aux priorités du gouvernement, la quête de plus d’emplois et de niveaux de vie plus élevés passe inévitablement par une transition vers un modèle de croissance tiré par le secteur privé, soutenu par un secteur public et un système de protection sociale plus réactifs et plus efficaces.
Pourquoi restons-nous optimistes sur la Tunisie, malgré des difficultés évidentes ? La Tunisie a de solides antécédents en matière de consensus autour de questions politiques difficiles et nous pensons que cette approche peut également réussir sur le front économique. Nous constatons lors de nos discussions que la grande majorité du spectre politique, la société civile et les partenaires sociaux soutiennent les réformes économiques, à condition que chacun y apporte sa juste part.