Le conflit entre des rebelles chiites Houtis et une coalition de pays arabes menée par l’Arabie saoudite, a plongé le Yémen dans le chaos. « Simple » conflit tribal et confessionnel (le Yémen est majoritairement sunnite, mais compte une forte minorité chiite, soit 40% de la population) au départ, la guerre civile a pris une dimension géopolitique pour une région du Golfe prise au piège de la confrontation indirecte entre ses deux principales puissances : l’Arabie saoudite et l’Iran.
Aujourd’hui, le Yémen est confronté à une crise humanitaire- où se conjuguent la famine et les maladies, en particulier le choléra- sans précédent. Le bilan est lourd : 10 000 morts, 53 000 blessés et près de 22 millions d’habitants dépendant de l’aide humanitaire. Le secrétaire-général de l’ONU, Antonio Guterres, a reconnu le fait que le Yémen connaissait «actuellement la pire crise humanitaire dans le monde». Comment en est-on arrivé là?
Situé à la pointe sud-ouest de la Péninsule arabique, le Yémen est au croisement de plusieurs cultures et influences, essentiellement arabes et est-africaines. À la différence de ses voisins, le Yémen ne dispose pas de ressources importantes en hydrocarbures. C’est l’État le plus peuplé de la péninsule hors population étrangère et l’un des plus pauvres du monde arabe (50% de la population vit encore sous le seuil de pauvreté). La société yéménite reste globalement très traditionnelle. Elle fonctionne encore largement sur un modèle tribal, loin de l’ouverture à la société de consommation visible dans les monarchies voisines.
La République du Yémen est née de la réunification en 1990 de la République arabe du Yémen (au Nord) et de la République démocratique populaire du Yémen (au Sud), avec l’emprise de la première sur la seconde, anciennement marxiste et pro-soviétique. Fondé sur un tribalisme républicain singulier, le régime n’entre pas dans la catégorie des pétromonarchies caractéristiques de la région.
Le Yémen et le Printemps arabe
La problématique de l’unité nationale a des racines historiques- un traité officialise la séparation de fait entre un Yémen du Nord ottoman (mais très autonome) et un Yémen du Sud sous protectorat britannique (1911)- et recouvre des clivages tribaux et politiques. Face aux sécessionnistes réclamant l’indépendance ou du moins l’autonomie du sud du Yémen, les islamistes du parti Al-Islah défendent au contraire son unité. Le Yémen se voit confronté à des problèmes récurrents: la réunification du pays sous la tutelle du nord ne prend pas, d’autant que les nordistes ont fait main basse sur les richesses, notamment sur le marché du qat; depuis le début des années 2000, la rébellion zaïdite (minorité chiite de la province de Sa’dah au nord-ouest) cause des milliers de morts et plusieurs centaines de milliers de personnes déplacées. Fin 2009, l’allié saoudien était intervenu militairement contre la rébellion sans mettre fin au désordre.
Dans le contexte du «printemps arabe», un soulèvement populaire a eu lieu en 2011, à Sanaa et dans plusieurs autres villes du Yémen, pour exiger le départ du président Ali Abdallah Saleh (en place depuis la réunification du pays), accusé de corruption et soupçonné de vouloir transmettre le pouvoir à son fils Ahmed, chef de la garde républicaine. Les rebelles zaïdites du nord du pays et les membres du mouvement sudiste participent activement au mouvement. Le soulèvement a basculé dans la confrontation armée, sans sombrer dans la guerre civile. Le président Saleh avait été grièvement blessé, ce qui l’a contraint à être opéré chez son voisin et allié saoudien. Devant l’impasse politique et la pression américano-saoudienne, le président Saleh a accepté le plan des monarchies du Golfe prévoyant de céder le pouvoir à son vice-président Abd Rabbo Mansour Hadi. Elu au terme d’un scrutin organisé le 21 février 2012 (où il était seul en lice et soutenu par le parti islamiste Al-Islah), il a formé un gouvernement d’union nationale et a mis en place un dialogue national institutionnalisé et représentatif de la scène politique et civile yéménite. Cette période de transition encore synonyme d’insécurité (circulation massive d’armes et ancrage d’Al-Qaïda sur le territoire, répression des Huthis, une minorité religieuse du nord du Yémen) devrait malgré tout aboutir à la définition de l’ordre institutionnel et politique post-Saleh : forme de l’État, nature du régime, révision de la Constitution et préparation des futures élections. L’unité nationale dépend du succès de cette entreprise de refondation. Ce dernier épisode de l’histoire du Yémen entretient un peu plus la singularité du pays par les membres du Conseil de coopération du Golfe.
En 2014, les Houthistes s’opposent au projet de fédéralisation du pays avec six provinces, dans lequel le gouvernorat de Saada, fief des rebelles chiites, était absorbé dans un territoire plus vaste au sud. Partant, les rebelles Houtistes ont repris leur offensive, qui les mena jusqu’à la capitale Sanaa. En mars 2015, le président Hadi fuit le pays et trouve refuge en Arabie Saoudite. Cette dernière forme une coalition arabe soutenue par les Etats-Unis et lance son armée dans une offensive aérienne (bombardement du palais présidentiel, de l’aéroport international, etc.) condamnée par l’Iran qui parle d’«agression militaire» et de «démarche dangereuse» par la voix de son président.
Après sa chute, le président Saleh est officiellement revenu dans le jeu politique yéménite en 2015. Il s’est en effet allié aux rebelles houthistes pour reprendre le pouvoir. Une alliance rompue suite au revirement du président Saleh qui a décidé de se rapprocher de l’Arabie saoudite en échange de la levée du blocus à l’origine de la crise humanitaire. Une issue remise en cause elle-même par la mort de l’ex-président Ali Abdallah Saleh en décembre 2017.
Aujourd’hui, la sortie de crise dépend autant des acteurs internes que des puissances régionales impliquées directement ou indirectement dans le conflit. Or, la souffrance du peuple yéménite ne semble pas peser bien lourd face aux enjeux géopolitiques de cette «guerre oubliée»…