Carthage 2, un remake sous forme de mélodrame qui rappelle un autre à l’issue peu glorieuse. Le conclave de Carthage 2 a tout de même réussi à distraire les Tunisiens qui ne décolèrent pas sous le feu nourri de prix en folie, portés à incandescence. Le pays est pris au piège d’une spirale inflationniste dont on ne voit pas la fin, mais dont on mesure déjà les dégâts.
L’inflation, non loin des deux chiffres est durement ressentie. Elle résume à elle seule toutes les difficultés et tous les malheurs du pays. Elle signifie notre incapacité à endiguer le déficit budgétaire, à atténuer le déséquilibre commercial à des niveaux jamais atteints et donc à stopper la dégringolade du dinar.
La légère éclaircie du premier trimestre 2018 annoncée triomphalement ne doit pas faire illusion. Elle est davantage d’ordre conjoncturel que structurel. On peut même se hasarder jusqu’à dire qu’elle relève plus de calcul de politique politicienne sans qu’elle soit réellement inscrite dans les tendances lourdes de l’économie.
Etrange situation, surréaliste même. Le G9 de Carthage – du reste à géométrie variable -, s’évertue à préparer un programme de sortie de crise, une sorte de catalogue à la Prévert à l’heure où le Gouvernement Youssef Chahed parade ostensiblement, multipliant les effets d’annonce et déployant à tout vent bulletins de victoires. Les dignitaires du pacte de Carthage 2 – partis politiques et corps intermédiaires -, sous la houlette du timonier BCE plus que jamais à la manoeuvre sont unanimes pour acter, dénoncer et s’alarmer de l’échec du Gouvernement qui prétend le contraire. Et le fait savoir à travers un discours et des éléments de langage préparés à cet effet. Les médias et la blogosphère sont pris d’assaut pour porter la bonne parole et défendre l’action gouvernementale.
Guerre des ondes, guerre de mots, guerre d’usure…Fini le temps d’échange d’amabilités, d’accrochages à fleurons mouchetés. On se tire désormais dessus à boulets rouges. Et qu’importe si cette guerre larvée sinon ouverte provoque d’énormes dégâts dans la chaîne nationale de valeur encore en convalescence. Elle conduit à l’immobilisme et à la paralysie de l’économie qui peine à sortir de l’ornière. Il n’y a pire pour une économie en transition que ce ni-ni, ce climat délétère et d’incertitude qui fige toute velléité d’entreprendre, alors que le temps nous est compté.
L’heure est pourtant à la mobilisation générale. Le pays fait face à l’urgence et à de graves défis. Il n’a jamais été aussi proche de la banqueroute et du dépôt de bilan. La dette extérieure est au plus haut avec la certitude qu’elle va augmenter encore quand bien même elle n’est plus soutenable. Les réserves de change sont au plus bas entraînant dans leur chute un dinar qui ne vaut plus grand-chose comparé à l’euro, au dollar et à bien d’autres monnaies. Le pays est sous tente d’oxygène, sous perfusion pour s’être laissé distraire et égaré à n’en plus finir par les arcanes de la politique politicienne. Il a accumulé les hypothèques et s’est obscurci l’horizon à force de vivre au-dessus de ses moyens…Avec la bénédiction des autorités. Il n’y a qu’à observer le zèle qu’elles mettent pour ne pas déroger à nos habitudes de consommation qui prennent des proportions gargantuesques dans ce mois de piété dont on finit par se persuader que c’est le mois de tous les excès.
On pousse jusqu’à la caricature ce trait de caractère dont on n’arrive pas à se défaire : l’envie de vivre bien au-dessus de nos moyens. Le ministre du Commerce se croit obligé d’endosser l’habit du ministre des consommateurs limitant ainsi son horizon au seul périmètre du marché de gros. Alors qu’il a en charge l’épineux dossier des négociations avec l’UE au sujet de l’Accord de libre-échange complet et approfondi – ALECA.
Au regard de la complexité et de la gravité des enjeux de cet accord, le pays s’engage dans la plus difficile et problématique bataille de son histoire. Par le passé, Carthage a livré plusieurs guerres qu’elle avait perdues. Celle qui vise aujourd’hui le désarmement douanier des services et de l’agriculture sous l’insistance de l’UE ne nous laisse d’autre choix que d’avancer, non sans risque, ou périr. C’est, dirions- nous, la mère des batailles.
Et plutôt que de nous préparer, de nous mobiliser, d’affûter nos armes, de dresser nos plans de défense et de riposte, en déclenchant le processus de redressement et de mise à niveau des secteurs visés par la concurrence, on en est encore à compter le stock de lait, d’oeufs et de viandes … qu’il faut importer pour réguler le marché passé depuis fort longtemps sous la coupe et le contrôle des spéculateurs. Une seule obsession, un seul mot d’ordre : acheter la paix sociale, quel qu’en soit le coût, au prix s’il le faut d’une hémorragie de devises ou de ce qu’il en reste, de l’explosion des déficits pour ne pas entacher le plaisir du palais de consommateurs-électeurs qui dépensent plus qu’ils ne se dépensent, qui consomment plus qu’ils ne produisent. Il y a beaucoup mieux à faire que de s’obstiner à vouloir les caresser dans le sens du poil et flatter leur orgueil non sans arrière-pensée politique liée à des desseins électoraux inavoués et inavouables. Il y a forcément beaucoup mieux à faire et d’abord nous émanciper des injonctions et du diktat – du reste compréhensible -des bailleurs de fonds.
Il y a besoin, il y a nécessité de retrouver au plus vite les chemins du travail vertueux de l’effort, de la rigueur, de l’épargne et du patriotisme économique que revendiquent aujourd’hui les grandes puissances industrielles. Il nous faut envoyer d’autres signaux que ceux qui transparaissent en laissant filer les déficits et la dette qu’on ne pourra pas rembourser sans passer par les clubs de Paris et de Londres, à moins d’une reprise forte et durable de la croissance. Terrible échec et amère déception.
Les Ayatollahs du FMI, qui campent désormais en permanence dans nos murs, ne comprennent ni n’admettent cette inversion de nos échelles de valeurs et de nos priorités du moment qui nous font privilégier l’immédiat sur le moyen et long terme. La situation de nos finances publiques est si désastreuse qu’il nous faut bannir toute forme de laxisme. Il faut agir au plus vite pour débroussailler et dépoussiérer nos lois et nous libérer de la bureaucratie d’Etat qui dissuade l’investissement et freine la croissance qu’il faut impérativement libérer du carcan et du corset réglementaires. Il est inadmissible et pour le moins incompréhensible que des réformes majeures soient maintenues en rade quand le navire Tunisie prend eau de toutes parts et menace de chavirer. Il faut plus que des postures, des gesticulations et d’annonces sans lendemain pour enclencher une véritable dynamique des réformes et rétablir la visibilité des entreprises. Question inévitable : le Gouvernement Chahed peut-il rattraper dans l’immédiat le temps perdu et éviter le naufrage financier ? Que ne l’a-t-il fait plus tôt.
Point besoin d’allonger la liste des réformes ou celle des actions à entreprendre. On doit s’en tenir à l’essentiel pour restaurer la confiance, améliorer notre compétitivité, libérer l’investissement et la croissance. L’urgence voudrait qu’on engage au plus vite la réforme de l’Etat, des caisses de sécurité sociale, des retraites, de la fiscalité devenue confiscatoire et contre-productive, du marché de l’emploi …
Au pays de la raison, il ne faut pas que triomphent la déraison et la gabegie qui règnent dans certaines entreprises publiques que rien ne condamne inéluctablement au déficit. L’argent du contribuable est sacré. Il doit être affecté et dépensé là où il serait utile, là où se créent les richesses et la valeur. Autant dire là où se conçoit, se prépare et se construit l’avenir. Sans quoi, rien ni personne ne peut prédire de ce qui pourrait nous arriver.