Deux ans après la tentative de coup d’Etat du 15 juillet 2016, Erdogan est arrivé à ses fins. Le coup d’Etat avorté, dont les secrets et les mystères qui entouraient son déroulement sont loin d’être élucidés, a été une occasion en or pour le président turc et son parti islamiste de tout mettre en œuvre pour s’approprier tous les leviers qui commandent la vie en Turquie dans tous ses aspects.
Le coup d’Etat était l’occasion de se débarrasser de centaines de milliers de fonctionnaires, d’enseignants, de militaires et de policiers accusés d’appartenir au courant politique de Fethullah Gulan.
Le coup d’Etat était l’occasion d’imposer une révision constitutionnelle qui a permis à Erdogan de doter le pays d’un régime présidentiel où tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains d’une seule personne : le président.
Le coup d’Etat était l’occasion de terroriser l’opposition et la presse, l’accusation d’appartenance au courant Fethullah Gulan étant une épée de Damoclès suspendue en permanence sur la tête de quiconque contesterait Erdogan dans ce qu’il dit ou ce qu’il fait.
Le coup d’Etat militaire a permis la tenue d’élections dans un climat de suspicion et de peur qui n’a rien à envier aux élections dont on est habitué dans les dictatures africaines ou sud-américaines.
Erdogan a donc remporté les élections et gagné son pari de devenir l’homme qui gouverne la Turquie avec les mêmes pouvoirs dont jouissaient les sultans de l’Empire ottoman. Ces pouvoirs sont aujourd’hui tels que le parlement turc devient une incongruité dans le paysage politique, une institution si superflue que son existence ou son inexistence ne change pas grand-chose.
Il en est de même du pouvoir judiciaire où Erdogan s’arroge le droit de nommer six des 13 membres du Conseil des juges et procureurs chargé de nommer et de révoquer le personnel du système judiciaire.
Tous les pouvoirs se trouvent donc concentrés entre les mains du président. Il n’y a plus de Premier ministre. Les ministres et les hauts fonctionnaires sont nommés par le président sans qu’il ait besoin de l’approbation ou de la confirmation du parlement. Aucun contre-pouvoir n’existe aujourd’hui en Turquie pour contrecarrer ou même discuter une décision ou un décret du président.
Qui peut contester ou demander des comptes à Erdogan pour avoir nommé les proches de sa famille politique et de sa famille tout court aux postes de ministres ? Qui peut accuser Erdogan de népotisme après avoir placé son gendre au poste très convoité et très important de ministre des Finances ?
Avec son gendre à ce poste clé, Erdogan, en plus de tous les leviers politiques du pays, s’assure tous les leviers de la vie économique, ce qui amène des analystes à parler d’hyperprésidence et d’autocratie institutionnalisée : « L’essentiel des pouvoirs seront concentrés entre ses mains, il n’y aura plus de Premier ministre et presque aucune des procédures de contrôle et de contrepoids d’une démocratie libérale. En d’autres termes, la Turquie sera une autocratie institutionnalisée», estime Marc Pierini, chercheur à l’Institut Carnegie Europe, cité par l’AFP.
En dirigeant politique coulé dans le moule de l’islam politique, Erdogan a entrepris insidieusement depuis des années à ré-islamiser la Turquie musulmane en faisant de son parti AKP (Justice et développement) le fossoyeur des institutions laïques instaurées il y a près d’un siècle par Mustapha Kamel Atatürk.
En islamiste, brillant disciple de Machiavel pour qui la fin justifie les moyens, Erdogan, avant même qu’il ne prête serment, est allé « se recueillir » et au mausolée d’Atatürk après avoir détruit son œuvre. Un acte qui a certainement une place de choix dans les annales du cynisme et de l’hypocrisie politiques.
Erdogan a voulu faire de son intronisation un événement international. Ont assisté à la fête des invités étrangers dont les plus « illustres » sont le président vénézuélien Nicolas Maduro, le Premier ministre russe Dmitri Medvedev et le président soudanais Omar al Bachir. Cela donne une idée de la réputation dont jouit Erdogan à l’étranger. Ce n’est guère étonnant quand on sait que, depuis son arrivée au pouvoir en 2002, il s’est employé, lentement mais sûrement, à réduire le nombre des amis de la Turquie et à accroître le nombre de ses ennemis.