L’égalité successorale est de nouveau au cœur du débat. Aujourd’hui 13 août 2018, le président de la République Béji Caïd Essebsi a affirmé sa volonté de soumettre la proposition de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe) qui porte sur l’égalité successorale à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Salsabil Klibi, enseignante à la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis et spécialiste en droit constitutionnel, présente le contenu de l’article et ses répercussions. Décryptage.
Salsabil Klibi affirme que la prise de cette décision n’est pas surprenante dans le sens où elle est une décision à minima. Si notre interlocutrice considère qu’il s’agit d’une décision à minima, c’est parce que «de tout le rapport élaborée par la Colibe, le président de la République n’a pris qu’un seul aspect, celui de l’égalité successorale et dans le choix de cet article en particulier, il a pris une seule des propositions figurant dans le rapport».
D’ailleurs, le rapport comporte deux propositions : une qui envisage l’égalité successorale tout court et l’autre est une proposition de repli et qui consiste à donner le choix au testateur, entre l’égalité totale entre les héritiers ou le système actuel de succession une part équivalente à celle de deux filles, explique-t-elle. BCE va soumettre la deuxième alternative à l’ARP. La constitutionnaliste a rappelé que le président de la République a renvoyé toutes les autres propositions figurant dans le rapport de la Colibe, tout en avançant qu’il s’agit de sujets qui doivent faire l’objet d’un dialogue sociétal.
Zoom sur la proposition sur l’égalité successorale
Salsabil Klibi affirme que cette proposition de BCE est très importante étant donné «qu’elle fait de l’égalité successorale le principe». Ainsi, l’égalité en héritage, grâce à cette proposition deviendra la règle générale. Cependant, «la proposition laisse une fenêtre pour les personnes qui ne désirent pas appliquer l’égalité successorale. Dans ce cas, il faut qu’elles expriment solennellement leur volonté de ne pas distribuer leur succession à égalité entre leurs enfants, devant un huissier notaire et partager donc l’héritage entre filles et garçons sur la base de la règle qui existe aujourd’hui dans le Code du statut personnel, à savoir au fils, une part équivalente à celle de deux filles». Il s’agit d’un amendement du Code statut personnel qui va inverser les principes. «Nous avons inversé l’esprit des successions pour faire de l’égalité le principe», explique-t-elle.
L’égalité successorale ne manque pas de répercussion
Cet article, en cas d’adoption ne manquera pas d’avoir des répercussions. La spécialiste en droit constitutionnel considère que l’application du principe de l’égalité successorale sera introduite d’une manière très lente. «Des études économiques et sociologiques ont affirmé que certaines familles ont déjà partagé leurs successions entre filles et garçons à égalité avant même l’émergence de cette proposition, mais ce phénomène ne concerne pas beaucoup de monde», dit-elle.
Elle prévoit que l’application du principe de l’égalité successorale restera minoritaire et ne va évoluer dans la Tunisie profonde que très progressivement et la masse utilisera cette fenêtre pour ne pas appliquer le principe égalitaire. À notre question «faut-il supprimer cette fenêtre?», la constitutionnaliste affirme qu’elle aurait souhaité que le président de la République adopte l’égalité successorale tout court et non pas le choix du repli.
La deuxième conséquence de l’adoption de cet article relatif à l’égalité successorale est l’introduction d’une inégalité entre femmes. Autrement dit, l’inégalité entre femmes et hommes sera doublée d’une inégalité entre femmes car certaine vont hériter sur la base de l’égalité et d’autres femmes qui vont se trouver dans des familles qui vont s’accrocher à la fenêtre qui leur est offerte vont hériter d’une manière inégale la moitié de la portion qui est due à leurs frères. «On ne peut pas nier l’institution du principe de l’égalité sauf qu’on l’a un peu écorné en laissant cette option», continue-t-elle.
Salsabil Klibi a rappelé que l’égalité successorale existe dans l’article 21 de la Constitution tunisienne et dans le droit positif. A cet égard, elle rappelle que l’ARP a approuvé des traités internationaux qui portent sur l’égalité comme le protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des Femmes qui consacre le principe de l’égalité successorale. «Cette position de repli n’est pas vraiment compréhensible, sachant que sur la base de l’article 20, les conventions et traités internationaux approuvés par le parlement ont une valeur supérieur aux lois.»
La spécialiste déduit que le protocole en question, avec les principes qu’il comporte, a une valeur supérieure au Code du statut personnel actuel ou après sa modification, suite à la soumission de la proposition auprès de l’ARP. Elle considère que la proposition sera adoptée à cause de l’option qu’elle offre aux intéressés.
Notre interlocutrice a affirmé que les enfants ne pourront pas contester la volonté du testateur du moment où il a fait son choix et aucun juge ne pourra invalider la décision du testateur. «C’est certainement un pas en avant et il n’y a aucune doute là-dessus. Quand on affirme que le principe est l’égalité c’est un pas en avant», conclut-elle.