Bien que la Tunisie se distingue par ses avancées concernant les droits de la femme ( tout récemment l’annulation de la circulaire qui interdit à la Tunisienne d’épouser un étranger), Fethi Laayouni, nouvellement élu maire de la localité du Kram a pris des mesures absolument inacceptables et anti-constitutionnelles aussi bien envers les femmes tunisiennes qu’envers leurs conjoints étrangers. Jinan Limam, enseignante universitaire à la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis nous a dressé un état des lieux du système juridique.
Elle souligne: « Ces déclarations sont graves parce qu’elles traduisent un cas flagrant d’abus de pouvoir et de violation manifeste de la légalité par un maire qui est tenu d’appliquer tous les textes composant l’ordre juridique national, chapeauté par la Constitution. Celle-ci garantit en effet dans son préambule l’égalité entre les citoyens et les citoyennes en droits et en devoirs ; et dans son article 6 elle garantie la liberté de croyance et de conscience et de la pratique des rites religieux ; et dans son article 21 l’égalité entre les citoyens et les citoyennes en droits et devoirs devant la loi, sans discrimination ».
Selon Jinan Limam, il est judicieux de rappeler que l’interdiction du mariage de la « Tunisienne musulmane » avec un non-musulman a suscité de nombreuses polémiques dans le passé en Tunisie parce qu’elle n’y a pas de base législative claire pour l’interdiction. En effet, précisant également que ce n’est ni le Code du statut personnel, ni la loi n° 1957-3 du 1er Août 1957, réglementant l’état civil, ne se réfèrent à des obstacles explicites au mariage entre musulmans et non-musulmans.
Elle ajoute: » Les restrictions vont être introduites plus tard dans les années 70 par la voie de circulaires émanant du premier ministre, du ministre de la justice et du ministre de l’intérieur interdisant le mariage entre les Tunisiennes musulmanes et les non-musulmans sauf en cas de conversion de l’époux à la religion musulmane. Ces circulaires instituaient une discrimination visant les femmes tunisiennes au motif de préserver la pureté de la famille en se basant sur des fondements islamiques et des interprétations fortement imprégnées par le fiqh et les dispositions du CSP ».
Jinan Limam: « De multiples batailles pour s’opposer à ces mesures discriminatoires »
Mme Limam indique: « De multiples batailles pour s’opposer à ces mesures discriminatoires ont eu lieu devant la justice. Aussi, les mouvements féministes et de défense des droits humains n’ont cessé avant et après 2011 de dénoncer cet état des lieux et d’exiger l’abrogation de ces circulaires liberticides. Cette abrogation a été effectuée en septembre 2017 comme étant une mise en pratique de la décision du Président de la République en date du 13 août 2017. Le nouveau texte ne contient aucune restriction spécifique visant le mariage des tunisiennes avec des non-musulmans ».
Et de conclure: « Pour consolider ces avancées, il est important de procéder à la modernisation de notre législation en conformité avec le caractère civil de l’Etat et les exigences de l’Etat de droit. L’aboutissement des recommandations de la Colibe concernant l’égalité entre les sexes et les libertés individuelles pourrait constituer un bon pas dans ce sens ».