L’Institut tunisien des études stratégiques (ITES) a organisé une conférence sur le thème de « La dette publique tunisienne ». En marge de cet événement, l’universitaire et économiste Abderrazek Zouari a dressé l’état des lieux et des solutions pour la soutenabilité de la dette.
De prime abord, M. Zouari a appelé l’ITES à élaborer une étude exhaustive et sérieuse sur la dette publique, en collaboration avec l’ITCEQ. Une étude qui sera, selon lui, un travail de mobilisation nécessaire pour résoudre le problème de la dette en Tunisie.
Ensuite, il a évoqué les principaux indicateurs de l’endettement en Tunisie durant la période 2010/2018 et les projections de 2019. Dans ce sens, M. Zouari a affirmé que la Tunisie est en pleine crise de la dette publique et que les équilibres financiers sont complètement rompus.
D’ailleurs, le déficit budgétaire était de 650 millions de dinars en 2010, contre 5,2 milliards de dinars à fin 2018 et 4,5 milliards de dinars prévus en 2019. Ce déficit représentait 1% en 2010, contre 6,9% en 2013 (le pic), 5% en 2014, 6,1% en 2016, 4,9% en 2018 et 3, 9% prévus en 2019.
Dette publique et besoin de financement de l’Etat
Néanmoins, Abderrazek Zouari a indiqué que pour la dette publique, ce qui est important ce n’est pas le déficit budgétaire, mais plutôt le besoin de financement de l’Etat. C’est-à-dire les emprunts que l’Etat doit chaque année contracter pour pouvoir non seulement financer son déficit budgétaire, mais aussi pour pouvoir rembourser sa dette et payer ses intérêts.
De ce fait, le besoin de financement de l’Etat est plus important que le déficit budgétaire, car ce dernier n’est qu’un élément des emprunts de l’Etat. Par ailleurs, le besoin de financement était de 1,8 milliard de dinars en 2010, contre 10 milliards de dinars en 2018. C’est-à-dire que le gouvernement prévoit de contracter 10 milliards de dinars d’emprunts nouveaux en 2019, dont 2,3 milliards de dinars d’emprunt intérieur et 7,7 milliards de dinars d’emprunt extérieur. Sachant que l’emprunt extérieur de l’Etat était de 1,2 milliard de dinars en 2010.
D’autre part, M. Zouari a déclaré que dans notre service de la dette, ce qu’on rembourse chaque année représente 3,6 milliards de dinars en 2010, contre 7,8 milliards de dinars en 2018 et 9,3 milliards de dinars prévus en 2019; dont trois milliards de dinars d’intérêt et six milliards de dinars de principal de la dette.
Ainsi, les encours de la dette publique, avec les emprunts extérieurs, ont été de 25 milliards de dinars en 2010, contre 76 milliards de dinars en 2018 et 83 milliards de dinars prévus en 2019. De ce fait, le taux d’endettement est arrivé au niveau de 71,7% en 2018, répartis en un tiers de dette publique intérieure et deux tiers de dette publique extérieure, contre 40% en 2010.
Raisons d’accroissement du taux d’endettement
Le premier élément qui explique la hausse du taux d’endettement est, selon notre interlocuteur, que les dépenses globales sont passées de 14 milliards de dinars en 2010, à 31 milliards de dinars en 2018.
Puis, les dépenses de fonctionnement sont aussi passées de 12 milliards de dinars en 2010 à 25 milliards de dinars en 2018. Et les dépenses d’équipement restent stationnaires, soit environ 4,5 milliards en 2010 contre cinq milliards de dinars en 2018 et six milliards de dinars prévus en 2019.
Toutefois, l’accroissement des dépenses globales en Tunisie est la conséquence de l’accroissement des dépenses de fonctionnement. Et dans ces dépenses, les salaires de la fonction publique sont passés de 6,7 milliards de dinars en 2010 à 16 milliards de dinars en 2018. Bien que la compensation soit passée de 2,3 milliards de dinars en 2010 à sept milliards de dinars en 2018. De ce fait, l’accroissement des dépenses de fonctionnement intervient à la suite d’un accroissement des salaires.
Du côté des recettes, M. Zouari a précisé qu’elles sont passées de 12 milliards de dinars en 2010, à 24 milliards de dinars en 2018 et ce, suite aux augmentations des impôts. En conséquence, l’impôt sur le revenu et l’impôt indirect ont été multipliés par trois. Et pourtant, le niveau des recettes publiques n’a pas eu l’accroissement nécessaire pour accompagner l’accroissement des dépenses publiques.
Par conséquent, l’accroissement des dépenses et les augmentations des impôts ont entraîné la hausse du service de la dette, passant de six en 2010, à 9,3 milliards de dinars prévus en 2019.
Est-ce que la dette tunisienne est soutenable ?
Abderrazk Zouari a estimé que le grand risque c’est que la dette devienne insoutenable. Mais vu que la capacité à lever les impôts fait partie des attributs de l’Etat, une dette n’est jamais insoutenable, mais cette orientation va avoir des conséquences très négatives sur l’économie du pays.
Pour cette raison, on ne peut dire qu’une dette est insoutenable que quand le coût du financement de la dette publique croît avec l’élévation de la dette et l’augmentation du coût de l’endettement. Tel est le cas de la Tunisie et l’accroissement du coût du dernier Eurobond en est la preuve.
Dans ce cas- là, quel est le seuil à partir duquel la dette tunisienne est insoutenable ? Actuellement, la dette est insoutenable mais, selon ses propos, la Tunisie reste solvable à des conditions plus difficiles.
Pour stabiliser la dette, Abderrazek Zouari a préconisé non seulement d’améliorer le taux de croissance économique, mais aussi d’agir sur le taux d’intérêt et le solde primaire du budget de l’année en question. Il s’agit des trois variables qui agissent sur la soutenabilité de la dette publique.