« L’informel est mortel, l’informel est éternel ! « , déclare Abderrahmane Ben Zakour P.E.S à la Faculté des sciences économiques et de gestion de Tunis. Et ce, lors de son intervention dans un panel organisé mardi par la STB sur le rôle des banques dans l’inclusion financière du secteur informel. « Y a-t-il une différence entre l’économie informelle et le commerce parallèle ? », s’interroge Pr. Abderrahmane Ben Zakour.
La réponse à cette interrogation ne fait aucun doute : Oui. Pour le cas de la Tunisie, il s’agit pour l’économie informelle de deux catégories différentes : les petites activités et le travail domestique. Mais, l’économie informelle et le commerce sont intimement liés à la fiscalité et à la corruption. Ils sont le résultat direct de l’affaiblissement de l’Etat. « Il y a dans notre fiscalité les germes de la corruption parce que notre système est déclaratif et il est complexe. Il décourage l’investissement et il n’a jamais été équitable », explique Mohamed Haddar, président de l’Association des Economistes Tunisiens et ex. doyen de la FSEG Tunis.
L’informel : menace ou opportunité ?
Malheureusement, la Tunisie ne dispose pas à l’heure actuelle de données statistiques globales permettant d’estimer de manière directe et de mesurer l’économie informelle dans toutes ses formes. Certes, les activités informelles ont, depuis 2011, tendances à remonter en pourcentage par rapport au PIB.
Si l’économie informelle est considérée pour certains comme une véritable menace pour l’économie formelle, elle est pour d’autres une opportunité. Au Sénégal par exemple, tout un ministère a été créé et dédié à l’économie informelle. « C’est une question de confiance et d’intégration par rapport à la réglementation et à la transparence. Cela encourage l’inclusion financière », a précisé Ahmed Al Karm, Président de l’APTBF. Et d’ajouter que l’inclusion financière du secteur informel est aussi la responsabilité des banques.
L’informel n’est pas une fatalité
L’informel est aussi le résultat d’une forte pression fiscale et d’une réglementation bancaire et financière compliquée. Pour l’expert-comptable Walid Ben Salah, l’effectivité des textes réglementaires n’est pas conforme sur le terrain. Pis encore, il y a selon, Nabil Abdellatif, président d’honneur de l’Ordre des Experts Comptables (OECT), un phénomène nouveau : l’informel commence à intégrer le formel !
Le cash encourage l’informel et porte préjudice à l’économie formelle. Ce constat a été confirmé par Kais Sellami, Président de la Fédération nationale numérique. Il a montré que la solution à l’informel est aussi liée à la digitalisation, parce qu’il est lié à la forte utilisation du cash. « Il y a un potentiel inexploité dans le e-payement. 80% des cartes bancaires sont utilisées pour retirer du cash et les sites d’e-commerce se font payés par du cash ! », regrette-t-il. Et d’ajouter que l’absence d’une démarche structurée a fait que le paiement par mobile n’est pas fait de manière fédérée.
Informel vs transformation digitale
La transformation digitale est en train de toucher l’économie dans son ensemble. La croissance, l’emploi, l’attractivité en dépendent largement. En effet, une vision économique s’impose. C’est pourquoi plusieurs remèdes et solutions ont été proposés et présentées pour faire face à la problématique de l’informel. Une stratégie présentée par Ahmed Al Karm repose sur plusieurs volets.
Il s’agit d’abord de faciliter un accès au financement moderne orienté vers la microfinance accompagné d’une solution pour faire face aux risques de change et l’ouverture d’une fenêtre dédiée à la microfinance au sein des banques et institutions financières.
Le deuxième volet de cette stratégie consiste à profiter de la technologie avec des solutions globales pour le paiement mobile et garantir la facilité de paiement. Ahmed Al Karm recommande de renforcer la culture financière et de mettre en place un système d’encouragement pour attirer et intégrer toutes les couches sociales vers l’économie formelle.
La transformation digitale devrait, selon Mohamed Salah Souilem, ex. Directeur général de la politique monétaire, permettre d’intégrer tous les Tunisiens non bancarisés et faciliter l’accès aux services bancaires. « Seulement 7% des Tunisiens ont une carte bancaire », dit-il. Mohamed Salah Souilem a, par ailleurs, recommandé d’assécher les sources de financement de l’informel et renforcer le contrôle de l’Etat.
Pour Kamel Naoui, Directeur de l’Ecole Supérieur du Commerce, la digitalisation et la démonétisation offrent de larges dimensions au decashing, à savoir le paiement mobile, le commerce électronique et l’open-banking. Ces dimensions devraient absolument transformer et faciliter la vie des gens.
Dans ce contexte, Kais Sellami a recommandé de passer vers une totale « inter-bancarité » des paiements mobiles et d’exonérer le paiement digital. « La circulaire de la BCT sur les Fintech doit être ouverte et permettre d’utiliser le paiement de manière instantanée« , ajoute M. Sellami.
Plusieurs acteurs de la place ont, par la même occasion, témoigné des expériences de leurs institutions, à l’instar de la Poste Tunisienne, dans la digitalisation des services financiers.
Faciliter l’accès au financement
Asma Ben Hamiida, directrice générale d’Enda a, pour sa part, saisi l’occasion pour témoigner de l’expérience de son association dans le développement de la microfinance en Tunisie. Elle a appelé toutes les parties prenantes à axer les efforts sur le renforcement de la culture financière, simplifier l’accès à la couverture sociale des couches vulnérables et permettre aux Tunisiens et notamment les femmes tunisiennes à revenus limités un meilleur accès aux services financiers, notamment l’accès à l’épargne.
La lutte contre l’informel nécessite, selon Karim Ben Kahla, Président du Cercle Keireddine, la séparation entre le registre économique et le registre social. Pour lui, le rôle de l’Etat est très important dans la lutte de la criminalité, l’illégalité et la lutte contre l’économie sousterraine. « Il faut assurer une protection pour ceux qui veulent intégrer l’économie formelle« , ajoute Karim Ben Kahla.
Pour clôturer le débat, Afif Chelbi, Président du Conseil des Analyses Economiques, a recommandé d’aller vers un formel productif et de procéder à la baisse des taux d’imposition pour assurer une meilleure inclusion financière de secteur informel.
La lutte contre l’informel est un vaste chantier. Il y a donc grand intérêt d’élargir les frontières du secteur bancaire et financier vers la digitalisation et la démonétisation de leurs services financiers. Toutefois, il est sans doute temps d’envisager une véritable stratégie, plus globale, pour concevoir des solutions radicales à ce phénomène, mais sans données et statistiques fiables et réelles sur l’état des lieux de ce fléau, tout effort sera vain.