Les savants de l’expédition d’Égypte et de grands voyageurs européens tels que Karl Ritter ou Alexandre de Humboldt ont été frappés par l’unité biogéographique du monde méditerranéen. Une mer commune ou « mare nostrum » dans un bassin quasi fermé, un « climat méditerranéen » singulier et des paysages azuréens partagés par les peuples riverains forment le triptyque de la représentation unitaire de la Méditerranée.
Cette vision « méditerranéiste » a évolué au XXe siècle : la conception unitaire développée à la suite des travaux de l’historien Fernand Braudel insiste sur le fond commun civilisationnel sur lequel repose l’idée de « monde méditerranéen », d’une unité méditerranéenne formant une aire unique, cohérente et homogène, au sein de laquelle les peuples riverains partagent un héritage historique (gréco-romain, judéo-chrétien, arabo-musulman) qui nourrit une mémoire, un substrat, une symbolique et un patrimoine communs centrés sur la Méditerranée. Une mer unifiante, facilitant la circulation des marchandises, des hommes et des idées, des valeurs.
La zone de contact et d’échanges que constitue la Méditerranée favorise l’émergence d’une unité humaine. Il convient de renoncer à un certain regard eurocentriste dès lors qu’il s’agit de penser la Méditerranée.
La « Grande bleue » est une « Mer blanche » pour les Arabes et les Turcs Ottomans. La Méditerranée fait l’objet de représentations et de conceptions contradictoires : unitaire ou au contraire fragmentée et conflictuelle. Le bassin méditerranéen représente, en effet, un lieu géographique mythifié et fantasmé pour sa beauté, laquelle fait de la Méditerranée la première destination touristique au monde. Une image qui risque d’être bouleversée par le changement climatique.
Après un été particulièrement mouvementé au Cap Bon, l’épisode météorologique qui a frappé Nabeul est loin d’être isolé sur le bassin méditerranéen. De l’Espagne, à l’Italie en passant par le sud de la France, les régions riveraines ne cessent d’être balayées par des phénomènes climatiques extrêmes : tornades, pluies diluviennes suivies de crues intenses et rapides…
Cette séquence confirme une réalité plus globale : la Méditerranée figure parmi les « hot-spots » mondiaux des changements climatiques.
L’écologue Wolfgang Cramer estime, dans une étude internationale publiée le 22 octobre dernier dans «Nature Climate Change», que le bassin méditerranéen se réchauffe déjà plus vite que l’ensemble de la planète : la température annuelle a déjà augmenté de 1.4°C depuis l’ère préindustrielle (au XIXe siècle), soit 0.4°C de plus que la température globale, élévation et acidification conséquentes de la Méditerranée… Les pays de cette région sont (et seront) de plus en plus touchés par les effets en cascade du dérèglement du climat, en particulier les pays les plus vulnérables, au Sud.
Les conséquences se font déjà sentir surtout dans les pays du Sud : des tempêtes plus violentes, phénomènes orageux provoquant des inondations plus régulières, rapides et importantes, canicules et vagues de chaleur plus fréquentes, aggravation des pénuries d’eau, baisse de la productivité agricole, érosion du littoral, baisse de la biodiversité marine, augmentation des risques sanitaires (avec des maladies cadiovasculaires et respiratoires, mais aussi avec la recrudescence des maladies infectieuses dues aux moustiques…)
Le patrimoine culturel des pays riverains est lui-même menacé, y compris des sites classés au patrimoine mondial de l’Unesco qui risquent d’être engloutis par la montée des eaux et les effets de l’érosion côtière d’ici la fin du XXIe siècle : la lagune de Venise, la cité antique de Rhodes ou le site archéologique de Sabratha (en Libye), la Casbah d’Alger, Syracuse ou encore les sites archéologiques de Pompéi…
Si la Médina de Tunis devrait être épargnée, d’autres sites tunisiens méritent d’ores et déjà une attention particulière…