Brett McGurk, émissaire des Etats-Unis pour la coalition internationale anti-djihadiste annonçait encore il y a une dizaine de jours que les troupes américaines avaient vocation à rester en Syrie.
De plus, il y a à peine trois mois, le conseiller à la Sécurité nationale John Bolton annonçait un élargissement des objectifs militaires américains en Syrie. Or Donald Trump vient de décider brusquement et unilatéralement de retirer, d’ici un mois, les troupes américaines présentes en Syrie (sans le moindre mandat onusien), ce qui représente 2000 soldats des forces spéciales situées au nord-est de la Syrie. Une annonce dont l’onde de choc est d’ordre international et national.
La redistribution des cartes en Syrie
Estimant, de manière péremptoire, avoir gagné la guerre contre l’État islamique, Donald Trump, par sa décision, signe la fin de toute stratégie syrienne par Washington et affecte l’équilibre géopolitique de la région.
Le retrait du contingent américain fragilise les forces locales kurdes qui s’étaient engagées en première ligne dans la guerre contre l’EI, mais que la Turquie considère comme une émanation de son ennemi politique intérieur, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
En cela, la décision américaine fait le jeu de la Turquie, principale bénéficiaire du retrait des soldats US. Le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, a les mains libres pour tenter de neutraliser l’avancée ou même l’ancrage territorial des forces kurdes. Il a reconnu que la Turquie avait l’accord de Washington pour que « les groupes terroristes soient chassés de l’est de l’Euphrate ». « Nous pouvons enclencher nos opérations en Syrie à n’importe quel moment à partir des territoires qui correspondront à nos projets », avait-il averti.
L’autre grand bénéficiaire de la décision américaine est le président syrien Bachar Al-Assad, qui se retrouve de fait renforcé dans sa position : rares sont ceux qui appellent encore à son départ, en dépit de sa responsabilité première dans la guerre civile…
Enfin, ses alliés russe et iranien sont confortés dans un rôle de forces régulatrices et d’arbitrage en Syrie. Les Etats-Unis laissent le champ libre à l’extension de l’influence de Moscou et de Téhéran dans la région. Ce qui explique la « déception » exprimée dans le communiqué laconique publié par le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou. La France, par la voie du président Macron, a également regretté la décision américaine, étant précisé que sans les Américains, la France n’a plus vraiment les moyens opérationnels de mener des actions militaires en Syrie. Une dépendance stratégique révélée au grand jour par le retrait américain.
Une onde de choc au sein de l’Administration Trump
Critiquant la décision du président Trump, Brett McGurk, l’émissaire américain pour la coalition internationale anti-djihadiste, a démissionné des ses fonctions. Or l’Administration Trump avait déjà dû faire face à la démission de son secrétaire à la Défense, Jim Mattis. Il faut rappeler que le Pentagone et le département d’Etat n’ont cessé de militer pour le maintien sur place de ce contingent de 2 000 membres des forces spéciales.
Pourtant, il convient de relativiser le caractère inattendu de la décision de Donald Trump. Au cours de la campagne électorale qui l’a opposée à Hillary Clinton, Donald Trump s’est voulu catégorique sur sa volonté de désengager les Etats-Unis des affaires du monde en général et du Moyen-Orient en particulier. Motif : mieux se concentrer sur les affaires nationales au nom du principe à connotation nationaliste : « l’Amérique d’abord ».
La victoire du milliardaire américain et son entrée en fonction à la Maison-Blanche devaient ainsi sonner la fin des « aventures extérieures » et consacrer une stratégie de retrait initiée– sous une forme, une logique et une tonalité différentes– par Barack Obama et symbolisée par le départ des troupes américaines d’Irak…