Un débat a eu lieu ces jours-ci sur l’environnement des affaires en Tunisie et les moyens d’améliorer l’attraction des investissements. Le débat organisé par un think-tank a eu pour thème « Quelles réformes législatives pour valoriser le site Tunisie ? ».
Il n’est pas certain que ça soit uniquement en juxtaposant des textes juridiques que nous allons valoriser le site Tunisie. Loin de là.
Nouvelles législation et réformes : des éléments suffisants pour un regain d’attractivité ?
Le nouveau cadre législatif d’investissement et les réformes menées actuellement sont certes plus que nécessaires :
- L’ensemble de la loi sur l’investissement et l’accès facilité aux marchés, matérialisé dernièrement par le décret 2018-417 et la constitution d’une liste négative d’activités encore soumises à autorisation (activités appelées à se réduire au fur et à mesure).
- Les démarches entreprises pour améliorer notre classement dans le rapport Doing Business, classement de référence pour les investisseurs internationaux.
- Le cadre en gestation de digitalisation des procédures administratives….
Autant d’avancées et de chantiers menés actuellement par le ministère en charge de l’investissement qui sont primordiaux et auront un impact concret sur l’attractivité du site Tunisie.
Toutefois, d’un aspect purement juridique et de réformes procédurales, la conception de l’attractivité doit reposer également sur des considérations beaucoup plus techniques, assurer en quelque sorte le marketing de ces législations en les combinant avec les atouts compétitifs et sectoriels du site et de ses territoires.
Un écosystème industriel à promouvoir
Il s’agira également de structurer nos propositions de valeurs à l’intention des investisseurs sur la base de ces atouts compétitifs, construire les possibilités de short lister le pays, crédibiliser et homogénéiser nos messages et éléments de langage de branding-pays et sectoriels.
La Tunisie en a grandement les moyens. Au-delà de ses atouts « traditionnels » tels que la qualité de ses ressources humaines et son positionnement géostratégique, l’écosystème entrepreneurial du pays constitue un excellent facteur d’attractivité. De nombreuses entreprises tunisiennes et étrangères performent à l’export dans des activités de pointe et d’avenir telles que celles liées aux activités des composants aéronautiques et automobiles, du digital, des filières agroalimentaires, dans l’industrie pharmaceutique et dans les énergies renouvelables.
La Tunisie a su également développer des activités de niches à haute valeur ajoutée par le croisement de filières. Le cas le plus emblématique est celui du secteur traditionnel du textile et particulièrement du textile technique. Ce sous-secteur a intégré des domaines d’activités aux normes exigeantes à l’instar des composants automobiles et aéronautiques (coiffes de siège, matériaux composites…) ; les services liés à l’industrie et à l’agrobusiness (tissus non tissés) ou le domaine des vêtements et accessoires de protection et de santé.
Le pays a su créer des champions nationaux et consolider l’implantation d’entreprises étrangères de renom. Pourquoi ne pas exploiter ces éléments pour marketer le pays, ces différents territoires et partant, en renforcer l’attractivité ?
Cela permettrait par la même occasion de nous convaincre du potentiel du pays et d’annihiler cette morosité ambiante: une vraie thérapie de groupe… L’économie et l’initiative entrepreneuriale se base grandement sur la confiance dans l’environnement dans lequel on évolue.
Les prérequis de l’attractivité
L’environnement d’affaires parlons-en, il fait partie des prérequis de l’attractivité. Ces prérequis portent essentiellement sur, comment :
- Assainir l’environnement d’affaires et promouvoir la bonne gouvernance. La mise en place de l’Instance nationale de lutte contre la corruption participe d’ailleurs à structurer les actions permettant un environnement d’affaires plus transparent.
- Accélérer la simplification et la digitalisation des procédures administratives. Le processus est déjà bien engagé et permettra de repositionner le site face à des pays concurrents en matière d’attraction des investissements.
- Consolider les stabilités des équilibres macroéconomiques, sociaux et sécuritaires.
- Assurer une plus grande visibilité aux opérateurs, notamment en termes d’imposition. Dans ce cadre, un moratoire fiscal à l’horizon de cinq ans pour les sociétés serait à encourager et permettrait certainement par la même occasion de repositionner le pays dans les classements internationaux de facilitation d’affaires (Doing Business…). Ces Classements sont fortement impactant dans le renforcement de l’attractivité d’un territoire et dans la décision d’investissement des opérateurs internationaux.
- Concentrer ses efforts sur le développement des infrastructures, de la logistique et des investissements connexes d’amélioration du cadre de vie… ; notamment grâce à des montages en partenariat public privé (PPP) consolidés et bien structurés. Ici aussi, ça n’est pas la loi sur les PPP qui va nécessairement apporter le socle nécessaire pour un développement de ces formes de contrat, mais davantage l’expertise dans la négociation et le cadrage des relations avec nos futurs partenaires privés. De bons PPP se sont structurés bien avant la création fin 2015 de la loi…
- Harmoniser nos actions promotionnelles et homogénéiser nos communications de branding-pays: à la place du morcellement de communication actuelle (tourisme, export, investissement), l’image de la Tunisie dans son ensemble est à consolider face aux amalgames et informations parfois biaisées relayées par les médias étrangers.
Plus facile à dire qu’à faire. C’est certain….
Combiner stratégies industrielle et de décentralisation aux politiques d’attractivité des territoires
La priorité ne serait donc pas seulement de légiférer. L’autre priorité serait également d’avoir une vision pragmatique et surtout d’avoir des stratégies d’attraction et d’industrialisation qui soient cohérentes et synchronisées entre elles.
La nécessaire spécialisation des territoires, leurs clusterisations ne pourraient se faire sans un rôle conséquent des pouvoirs publics. L’opportunité de mise en oeuvre de la décentralisation est aujourd’hui à mettre en perspective avec l’impératif de marketer chaque territoire selon ses spécificités et ses atouts en termes de compétitivité et d’opportunités de se positionner dans des chaînes de valeurs.
Le pouvoir décisionnel conféré aux collectivités locales leur fournit aujourd’hui l’opportunité d’œuvrer avec les structures en charge au niveau local comme national, à faciliter l’entrepreneuriat et l’innovation, « clustériser », positionner et marketer leurs territoires et contribuer ainsi à créer la dynamique qui puisse faciliter leur développement et l’enclenchement d’un réel cercle vertueux d’inclusion.
Pour cela concrètement, il s’agirait de disséminer la culture de promotion dans les régions et par exemple de soutenir fortement l’extension d’activités de grands groupes à travers de forts mécanismes d’incitation et d’encadrement.
Il convient d’agir afin d’amener le pays dans son ensemble, comme les différentes régions, à se positionner comme autant des territoires aux atouts réellement attractifs et visibles pour des opérateurs tunisiens comme étrangers qui benchmarkent a tout va, sans se soucier des frontières. Le marketing territorial (celui du pays comme celui des régions) serait ainsi d’autant plus facilité et argumenté.
Pour un repositionnement du site dans les radars des investisseurs internationaux
La concurrence fait rage pour « séduire” ces investisseurs: un des livres de référence en matière de politique d’attractivité et d’attraction des investissements a un titre plus qu’évocateur: » la séduction des nations »…Penserait-on séduire sous une tonne de « lois/fond de teint »?
Le monde change à vitesse grand V et ne nous attend pas. Il attend encore moins nos lois et leurs décrets d’application, là où le travail de valorisation du site requiert également des actions réfléchies ; qu’elles soient en mode « quick-win » (pour employer un terme tendance) ou pour structurer des « avantages construits » (aide à la clusterisation, appui à des formations courtes en lien directe avec la demande des opérateurs, appui à l’intégration des investissements directs étrangers dans l’écosystème local…)
Il faut d’urgence que nous ajustions notre approche. Ne pas la limiter qu’aux aspects juridiques d’amélioration. Concevoir l’attractivité sous un prisme davantage business friendly, c’est également savoir mettre en lumière nos atouts compétitifs, marketer la destination et son écosystème tout en restant le plus crédible possible. Ça ne serait pas trop compliqué s’il y avait une réelle volonté de réfléchir un tantinet « out of the box » (autre terme à la mode, mais pas nécessairement appliqué).