La Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises (ICRICT) vient de publier son nouveau rapport. Et ce, pour évaluer les résultats et lacunes du processus mené par l’OCDE et proposer des pistes de véritables réformes.
Le rapport de l’ICRICT est publié quelques jours avant une importante réunion qui aura lieu le 23 janvier à Paris dans les bureaux de l’OCDE.
Dans ce cadre, l’OCDE présentera, pour la première fois, aux pays en développement les préambules de ce qui sera le plan « BEPS 2.0 ». C’est-à-dire une transformation plus profonde du système fiscal, en fonction des défis posés par la numérisation de l’économie.
Il s’agit d’une occasion unique pour tous les gouvernements d’exhorter l’OCDE à s’orienter vers un système fiscal international plus équitable et plus efficace.
A cet égard, l’ICRICT a dévoilé que les stratégies d’optimisation fiscale des multinationales privent les gouvernements de ressources précieuses. Ces stratégies les empêchent ainsi de répondre à leur obligation de réalisation des droits économiques, sociaux et culturels des citoyens. Le plus choquant, avec l’optimisation fiscale des multinationales, c’est qu’elle est légale.
Ainsi, les multinationales fixent les prix des transactions entre leurs filiales. Et ce, pour garantir que leurs revenus soient taxés dans des pays où les taux d’imposition sont plus bas où leur activité économique et la création de valeur ont réellement lieu.
C’est ce qu’on appelle le « système des prix de transfert ». Elles peuvent, selon la même source, concentrer d’énormes bénéfices dans une poignée de paradis fiscaux. Et ce, grâce à une puissante industrie d’intermédiaires – banques, consultants et cabinets d’avocats.
Pour compenser ce manque de rentrées fiscales, les gouvernements, partout dans le monde, élèvent les contributions des classes moyennes et des travailleurs. Notamment via des impôts sur la consommation, comme la TVA.
Le rapport a démontré que cette tendance est toxique pour la démocratie dans la mesure où elle alimente des réactions populistes. Ces dernières permettent à l’autoritarisme de s’épanouir comme on le voit aujourd’hui.
Limites de l’initiative « BEPS » lancée en 2015 par l’OCDE
Face à cette situation, le groupe des 20 pays les plus industrialisés de la planète (G20) a demandé, en 2012, à l’OCDE de travailler à des pistes pour réformer le régime international d’imposition des sociétés.
C’est ce qui a donné naissance en 2015 à l’initiative sur « l’érosion de la base et le transfert des bénéfices », plus connue sous le nom de « BEPS ».
Ce processus n’a été ouvert qu’ensuite aux pays non-membres du G20, y compris les pays en développement. Et ce, afin de former un ensemble appelé le « cadre inclusif » qui rassemble aujourd’hui un total de 125 nations.
Le « BEPS » a permis la mise en place de solutions utiles pour lutter contre les mécanismes les plus choquants d’optimisation fiscale. Mais ce projet ne s’est pas attaqué au principal problème. D’où les entreprises peuvent toujours déplacer leurs bénéfices afin de profiter des très faibles ou nuls taux d’imposition qu’offrent de nombreuses juridictions.
De ce fait, l’ICRICT estime que le BEPS de l’OCDE a fait ce qu’il a pu dans les limites des contraintes politiques imposées par les grandes entreprises. Et elle s’inquiète également de la manière dont les pays en développement sont empêchés de participer à l’élaboration des normes fiscales mondiales. Parce que le BEPS a été conçu par les pays développés pour les pays développés.
Solutions pour réformer la fiscalité des multinationales
Le rapport de l’ICRICT a montré que l’approche la plus équitable et la plus efficace consisterait à imposer les multinationales en tant qu’entreprises uniques, cessant de considérer chaque filiale comme indépendante.
Une approche simple, fondée sur une formule, permettrait de s’assurer que les bénéfices globaux et les impôts associés puissent ensuite être répartis en fonction de facteurs objectifs. Tels que les ventes, l’emploi, les ressources utilisées par l’entreprise dans chaque pays, plutôt que là où se trouvent leurs différentes fonctions et où les multinationales revendiquent leur propriété intellectuelle.
Si les multinationales payaient leurs impôts en tant qu’entreprises unifiées, l’intérêt de transférer les bénéfices disparaîtrait. Car leur revenu global serait consolidé et elles ne seraient plus en mesure de transférer les bénéfices par des transactions internes.
En retour, tous les pays obtiendraient des recettes fiscales du groupe multinational proportionnellement aux activités économiques réelles qui ont lieu dans chaque territoire.
Cette proposition, combinée à un impôt minimum effectif global de 20 à 25%, réduirait, selon l’ICRICT, considérablement les incitations financières pour les multinationales à transférer leurs bénéfices entre juridictions et pour les pays à réduire leurs taux d’imposition.
Exemples d’évasion fiscale des multinationales de renommée
- Facebook n’a payé que 7,4 millions de livres sterling (8,2 millions d’euros) d’impôts sur les sociétés au Royaume-Uni en 2017. Malgré des revenus de 1,3 milliard de livres dans le pays et des bénéfices mondiaux avant impôts de 50%.
- Amazon n’a payé que 16,5 millions d’euros d’impôts sur un chiffre d’affaires européen de 21,6 milliards d’euros réalisé au Luxembourg en 2016.
- Google a transféré 19,9 milliards d’euros aux Bermudes par l’intermédiaire d’une société écran néerlandaise en 2017. Et ce, dans le cadre d’un arrangement qui lui permet de réduire sa facture fiscale étrangère, selon des documents déposés à la Chambre de commerce néerlandaise.
- Starbucks Coffee Company UK Limited a enregistré un bénéfice de 4,44 millions d’euros sur un chiffre de 413 millions d’euros au Royaume-Uni. Mais ce bénéfice est réduit par une redevance et des droits de licence intragroupes de 5 fois la valeur du bénéfice.
- Vodafone, première grande multinationale à publier volontairement des données pays par pays, révèle, dans ses comptes de 2016/2017, que près de 40% de ses bénéfices sont hébergés dans des paradis fiscaux. Et ce, avec 1,4 milliard d’euros déclarés au Luxembourg, où la société fournit des services et financements intragroupes, et est imposée à un taux effectif de 0,3%.