« Fatwa pour l’amour ». À première vue le titre porte en lui-même un paradoxe. Si le mot Fatwa relève du domaine du sacré, parfois de l’interprétation extrémiste des textes coraniques et du rejet de toute forme d’émancipation, le mot amour est un portail qui s’ouvre sur d’autres cieux.
Mais ne nous leurrons pas, la chanteuse et l’actrice Ghalia Ben Ali a bel et bien choisi soigneusement le titre de son spectacle en associant la Fatwa à l’amour. Ainsi, nous n’avons plus affaire à une fatwa qui relève de l’enfermement et du fanatisme. Bien au contraire, c’est une fatwa qui nous introduit dans un univers de mysticisme, et de l’absolu. Il s’agit d’une fatwa musicale et spirituelle à la fois qui brise le tabou de l’enfermement
Pendant une heure et demie, sur la scène du théâtre de l’Opéra à la Cité de la culture, à Tunis, le 8 février, la chanteuse tunisienne résidente en Belgique Ghalia Ben Ali a introduit son public à un univers musical où des poèmes mystiques et des classiques d’Oum Kalthoum ont bercé l’oreille de l’auditeur. D’ailleurs, le choix des poèmes interprétés ne doit rien au hasard. Parmi ces poèmes figure celui du philosophe et poète Moheïddine Ibn Al ’Arabî du 12 ème siècle qui a chanté un hymne à la tolérance et à la cohabitation pacifique entre les religions.
« Auparavant, je méconnaissais mon compagnon
Si sa religion de la mienne n’était proche.
A présent, mon coeur est capable de toute image :
Il est prairie pour les gazelles, cloître pour les moines,
Temple pour les idoles, Kaaba pour les pèlerins,
Tables de la Thora et livre saint du Coran.
L’Amour seul est ma religion,
Partout où se dirigent ses montures
L’Amour est ma religion et ma foi »
En effet, cette ode à l’Amour s’accompagne de mouvements de l’artiste sur la scène rappelant ceux des derviches tourneurs et toute la symbolique qui va avec.
Qu’y a-t-il de plus beau que de chanter la paix et la cohabitation pacifique en ces temps troubles ? Même le choix de ses musiciens reflète une diversité culturelle et musicale à la fois puisqu’il s’agit de quatre musiciens égyptiens, irakiens, belges. Si elle chante c’est pour rassembler l’auditoire pas nécessairement autour de sa musique, mais autour de valeurs universelles.
Ghalia Ben Ali a revisité, entre autres,quelques chansons d’Oum Kalthoum à sa manière. Faut-il encore rappeler que cette diva a pu rassembler tous les peuples arabes ? Ainsi ce choix ne s’inscrit pas dans le cadre de la sacralisation des classiques mais plutôt dans un élan rassembleur des peuples autour de valeurs constantes que sont l’amour et la tolérance.
La ravissante artiste ne se produit pas souvent sur les scènes tunisiennes. Mais si elle y chante c’est pour émerveiller et pour marquer son auditoire du sceau de l’enchantement. Ghalia Ben Ali a plusieurs cordes à son arc. A son talent indiscutable de chanteuse vient s’ajouter celui d’actrice. Les cinéphiles assidus se souviennent combien ils ont apprécié son interprétation du rôle de Loubna, maman et militante politique dans le Film « Fatwa » de Mahmoud Ben Mahmoud qui a remporté le Tanit d’or lors des JCC 2018.