Le nombre de sociétés en difficultés sur la Place de Tunis connait une hausse considérable ces derniers mois. L’année 2019 est, à n’en pas douter, celle des risques.
Après Carthage Cement, dont le processus de vente a logiquement échoué, Servicom est dans l’œil du cyclone. Nous n’allons pas consacrer ces lignes à ces deux sociétés, mais elles servent comme un exemple concret de ce que nous observerons fréquemment dorénavant. Le communiqué de presse publié hier par Servicom pointe des facteurs clés que les investisseurs doivent prendre au sérieux.
Le fardeau de la dette
En effet, ledit communiqué souligne « l’augmentation des frais financiers suite à l’augmentation des taux d’intérêts ». Selon les derniers indicateurs d’activité publiés par la société, les charges financières ont atteint 8,392 millions de dinars en 2018. L’endettement du groupe, fin 2017, est presque de l’ordre de 42 millions de dinars. Une petite particularité : il y a de la dette obligataire. Et le marché a été informé en début de semaine du report de deux mois du remboursement de l’échéance prévue pour le 12 février 2019. C’est une très mauvaise nouvelle, car l’hypothèse d’un défaut de paiement n’est plus à exclure.
C’est là l’effet de la rigueur imposée par la Banque centrale. Nous comprenons donc l’inquiétude des opérateurs économiques, reflétée dans la tendance du marché actions depuis le mois de septembre dernier. Les craintes quant à la qualité des actifs bancaires sont à un niveau inédit.
Ainsi, Servicom et Carthage Cement sont deux exemples de sociétés dont l’accès aux crédits est compliqué et l’impact sur l’exploitation est visible. Les banques doivent respecter le seuil de 120% du ratio Crédits/Dépôts. Elles ne vont pas soutenir des boîtes dont la capacité de remboursement est incertaine. Le nombre de sociétés qui ne sont plus bancables n’a jamais été aussi élevé.
Dans ce contexte, la décision de la BCT d’augmenter son taux directeur de 100 points de base est le synonyme de planter le dernier clou dans le cercueil d’un bon nombre d’entreprises. Plusieurs ne pourraient plus supporter le poids des charges financières et ne respecteraient pas leurs engagements vis-à-vis des banques.
Qui va donc soutenir ces entreprises ? Les actionnaires ? Aujourd’hui, des sociétés de renommée peinent à mobiliser le grand public. Tunisie Leasing a de la chance d’avoir un tour de table solide, notamment avec Amen Bank, sur qui compter pour clôturer son augmentation de capital en cours. Mais pour les autres opérateurs économiques, c’est quasiment une impossibilité de retrouver de l’argent frais à injecter.
L’autre revers de la baisse du dinar
Si la dégringolade du dinar a boosté les chiffres des exportateurs, les importateurs ont la vie difficile. L’une des principales sociétés du holding, SERVITRA, spécialisée dans les travaux publics s’est retrouvé piégée. Le bitume, dont le prix est indexé au pétrole, a flambé en parallèle aux pertes de change. Puisque l’entreprise est engagée dans des marchés publics, il est impossible de réviser les prix.
Ce problème touche plusieurs entreprises qui assument une grande responsabilité dans leurs estimations erronées. Lorsqu’on est engagé dans des marchés avec l’Etat, où les prix sont fermes, il faut adopter les pires scénarios.
Nous espérons qu’après les fournisseurs d’outils informatiques, ces entreprises seront autorisées à intégrer les prix des matières premières importées en devises dans le cadre des appels d’offres publics.
Avec un dinar instable, l’expression « le temps c’est de l’argent » trouve tout son sens. Servicom a pointé les « retards considérables des paiements par les clients publics ». La durée entre la signature du contrat avec un fournisseur étranger et le décaissement par le client tunisien (l’Etat dans le cas d’espèce) est tellement longue que toute la marge est absorbée.
En même temps, l’Etat ne peut pas se permettre de rembourser un projet non accompli. Il faut trouver un mécanisme qui permet de garder les intérêts des fournisseurs de l’Etat, sinon c’est le rythme de l’investissement public qui est en jeu.
Nous allons suivre l’évolution de l’ensemble de ces indicateurs de près à travers les bilans des établissements de crédits et les coûts du risque. C’est le dossier chaud de cette année.