La Tunisie est frappée par un drame qui révèle, à nouveau, la dérive de son secteur hospitalier. Onze nouveau-nés hospitalisés dans le même service de néo-natalogie sont décédés.
La démission du ministre de la Santé Abderraouf Cherif ne change rien aux défis structurels. Le secteur de la santé publique, considéré historiquement comme un axe stratégique de développement de la Tunisie, peine à répondre à ses multiples maux. Une impuissance qui pèse sur le développement du pays.
Un secteur hospitalier en pleine dérive
A l’indépendance, en 1956, le développement du secteur de santé publique s’est imposé au rang de priorité nationale. La Tunisie dispose encore aujourd’hui d’un système de santé de référence dans le monde arabe, comme en témoignent le savoir-faire reconnu de ses médecins, la croissance du secteur du tourisme médical (le pays accueille environ 500 000 patients étrangers par an) et de l’industrie pharmaceutique.
Toutefois, le drame survenu à la maternité de la Rabta est révélateur de l’état de progressive déliquescence du système de santé publique. Les images de parents quittant l’hôpital avec le corps de leur nouveau-né dans de simples cartons resteront gravées dans la mémoire collective…
Derrière ce symbole, il y a des défaillances structurelles : des hôpitaux surchargés, des équipements en mauvais état, un personnel à bout de souffle, des praticiens qui quittent le pays, un accès inégal à ce service public de base…
En effet, derrière le nombre de centres de santé et autres structures hospitalières que compte la Tunisie, il y a une réalité marquée par un maillage territorial très inégal : leur répartition est historiquement erronée. Le secteur se caractérise, en effet, par d’importantes disparités territoriales, puisque le Gouvernorat de Tunis concentre près du quart de l’effectif total de médecins. Une concentration qui n’est pas gage de sécurité sanitaire, comme l’atteste le drame.
Un secteur de santé de qualité, condition sine qua non du développement
Au-delà du cas tunisien, la santé occupe aujourd’hui une place centrale dans les problématiques de développement international. Cette place paraît toutefois ambiguë dans les discours et politiques publiques de développement : présentée à la fois comme fin, mais aussi comme moyen de développement. La santé apparaît comme un élément de plus en plus important des transformations sociales contemporaines (Pierre-Marie David).
« Une meilleure santé est essentielle au bonheur et au bien-être. Une meilleure santé contribue également de manière importante au progrès économique, puisque les populations en bonne santé vivent plus longtemps, sont plus productives et épargnent plus ». C’est en ces termes que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) positionne le lien entre santé et développement. Soulignons les ambiguïtés de ces deux phrases qui présentent la santé successivement comme une fin, puis comme un moyen : tantôt comme bonheur et bien-être, tantôt comme moteur du progrès économique. Les discours « santé et développement » apparaissent ainsi polysémiques et capables de fonder et d’intégrer des registres de possibles très différents et par là des positions épistémologiques, éthiques et politiques pouvant parfois sembler antinomiques.
Comprendre comment le discours se lie avec la mise en œuvre concrète de politique paraît ainsi nécessaire pour comprendre les ressorts de pouvoir et les dynamiques politiques sous-jacentes liant « santé et développement ».
Le secteur de la santé en Tunisie présente un réel potentiel, dont la concrétisation suppose de renforcer et moderniser les infrastructures médicales, ainsi que d’améliorer la condition de ses acteurs par trop démobilisés…