Le choix du thème de notre Forum – « La Tunisie face à la nouvelle donne du commerce mondial », illustre cette problématique et s’inscrit dans cette nouvelle réalité marquée par l’anti multilatéralisme et la montée du protectionnisme qui est loin d’être un nuage passager.
La question, il est vrai, nous interpelle et nous met au défi d’agir, de réagir, de nous adapter et de nous positionner stratégiquement sur de nouvelles lignes de développement pour ne pas nous laisser décrocher définitivement. Autant dire, pour pouvoir tirer profit des mutations économiques, géopolitiques et technologiques qui structurent aujourd’hui l’économie monde.
C’est bien de notre capacité ou de notre incapacité à maîtriser les bouleversements et les changements dans le monde dont il s’agit.
On en mesure déjà les menaces et les risques, mais on a aussi conscience des chances et opportunités qu’il nous faut savoir saisir en négociant au mieux de nos capacités et de nos atouts ce nouveau tournant.
Lesquelles de ces menaces ou de ces opportunités l’emporteront ? A quelles conditions et à quel prix ? C’est pourquoi, il y a besoin, il y a nécessité d’engager le débat et de nous interroger sur les conséquences de ces changements sur l’économie et le modèle social tunisiens.
De fait, la guerre commerciale lancée par le Président américain Donald Trump commence à produire ses premières conséquences. Elle frappe déjà la Chine au moment où sa croissance est en plein ralentissement.
Nous avons certes peu d’échanges avec les Etats-Unis, échanges qui ne vont pas augmenter de sitôt. Cela ne nous protégera pas pour autant des dégâts collatéraux de cette guerre commerciale qui s’annonce comme un élément structurel de la prochaine décennie.
Si la Chine venait à connaître sa récession – ce qui est assez probable – comment le reste du monde serait-il affecté ? Comment l’économie tunisienne serait-elle impactée ?
La Chine, devenue le poumon économique de la planète, alors, il n’est pas étonnant aujourd’hui que le monde tousse quand elle s’enrhume. Et quand l’UE tousse, la Tunisie, au regard de sa dépendance à son égard, aura la fièvre.
Un choc de croissance chinois rendrait les choses bien plus difficiles. Moins de croissance dans la Zone Euro, c’est à l’évidence moins d’exportations tunisiennes. Cela est d’autant plus grave pour nous que c’est le seul moteur encore en activité quoiqu’en mode ralenti.
L’Europe, notre principal partenaire commercial, absorbe à elle seule près de 80% de nos exportations. Quatre pays – la France, l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne – qui sont parmi les plus visés par les restrictions douanières américaines achètent à eux seuls plus de 60% de nos ventes à l’étranger. Et sont de surcroît les principaux émetteurs de touristes sur le marché tunisien.
Les IDE, qui ont largement contribué à l’essor de l’économie tunisienne en provenance de l’UE, n’y échapperont pas. On peut légitimement craindre qu’ils seront lourdement impactés. L’attractivité du site Tunisie, déjà sérieusement ébranlée, pourrait se dégrader davantage. Le danger est réel. C’est pourquoi, il faut nous protéger en nous projetant dans le futur, en sortant de la logique de la sous-traitance et des bas salaires.
Notre seule voie de salut : développer la recherche, l’innovation, l’IA, les services liés à l’industrie en profitant de notre proximité de l’UE, mais tout en réduisant les risques d’instabilité liés à cette même dépendance par trop grande.
Et comment réduire cette dépendance sinon qu’en élargissant notre périmètre d’échanges, en se rappelant au bon souvenir de notre profondeur stratégique et de notre espace vital africain.
L’Afrique, notre nouvelle frontière… C’était le thème de notre forum d’il y a quatre ans. Non qu’on voyait venir la menace protectionniste, mais cette impérieuse nécessité nous paraissait dans l’ordre des choses pour défendre nos intérêts.
Le moment est venu pour nos entreprises industrielles, fragilisées par leur faible taille, de repenser leur management et leur stratégie de développement et d’oser un redéploiement à l’international. Elles doivent surmonter leur difficulté à se positionner sur les nouvelles chaînes de valeur à fort contenu technologique.
Nous avons certes des atouts, mais aussi d’énormes handicaps et vulnérabilités aggravés par le cumul, au cours des huit dernières années, des déficits de confiance, et de compétitivité, par la stagnation sinon le recul de la productivité, et au final par de faibles niveaux de croissance. Et une explosion de déficit commercial comme jamais par le passé.
S’il faut que s’y ajoutent aussi les risques de dégradation économique liés à la montée du protectionnisme, d’une mondialisation à la chinoise drapée des oripeaux de la Route de la soie et de l’ouverture de l’UE via de nouveaux accords commerciaux avec Singapour, le Mexique et le Vietnam, trois de nos plus redoutables compétiteurs, on comprend qu’il faut réagir au plus vite.