A moins d’une semaine, voire à quelques heures de l’arrêt des cours, du reste malmenés, entrecoupés, réduits à leur plus simple expression, en prévision des examens universitaires de fin d’année, nos étudiants, ou tout au moins, un grand nombre d’entre eux, ne sont pas encore édifiés sur leur sort.
La raison – on devrait dire la déraison – en est que des enseignants-chercheurs – si tant est qu’ils soient réellement habités par la fonction – ligués dans une nouvelle corporation syndicale venue d’on ne sait où, se jouent et font fi de leur avenir. Laissant ainsi sans voix l’UGTT réduite pour une fois au silence et à l’impuissance.
On croyait que ces têtes, qu’on imaginait bien pensantes, avaient pour mission d’accompagner leurs étudiants dans leur parcours universitaire, leur dispenser connaissances, qualification, civisme, abnégation et éthique, autant de valeurs qui constituent les fondements et les piliers de la République. Que d’illusions perdues !
Au lieu de quoi et contre toute attente, elles ont osé l’impensable en menaçant, au péril de l’avenir de notre système éducatif, de boycotter les examens. Ils priveraient ainsi de diplômes des étudiants déjà victimes de discrimination sociale.
Et pour cause, les plus fortunés ont depuis longtemps rejoint grandes écoles et prestigieuses universités occidentales, temples de la connaissance, du savoir et de la conscience professionnelle ; là où se conçoit et se décide le monde de demain.
Celles et ceux qui n’ont pas encore basculé dans la pauvreté, qui se situent encore dans l’échelle intermédiaire ont trouvé refuge dans nos universités privées qui font aujourd’hui florès et dont la notoriété croît à mesure que se dégrade celle des institutions publiques.
Il y a comme un vent de folie, une maladie aux origines troubles qui se répand insidieusement dans le corps des enseignants, aux attitudes et comportements devenus incompréhensibles, sinon déplorables.
Hier du temps de leur splendeur, les chevaliers de l’enseignement, occupés qu’ils étaient à créer et à bâtir une nation, se battaient pour de grandes causes, pour que triomphent l’école, le savoir, la culture, la raison. Ils étaient à la fois les architectes et les garants de la cohésion sociale si chère aux pères fondateurs de la République. Ce qui leur valait un énorme courant de sympathie, respect et considération. Les pionniers d’hier étaient pourtant moins bien lotis que les universitaires aujourd’hui en furie, qui font figure de privilégiés. Même si leur condition de vie s’est indéniablement détériorée sous l’effet dévastateur de l’explosion du coût de la vie. Il n’empêche : ils donnent d’eux une triste image. En tout cas, ils sont perçus comme tels. Ils paraissent outrepasser leurs droits et piétiner ceux des autres, des sans-voix et sans moyens pour s’en défendre.
Ils oublient qu’ils sont là où ils se trouvent et qu’ils doivent leur statut aux énormes sacrifices consentis par les contribuables sans qu’il ne leur soit témoigné en retour la moindre forme de reconnaissance.
Les enseignants-chercheurs, comme ils se qualifient, défient l’autorité centrale et prennent en otage les étudiants et leurs parents. Ils mènent cette offensive, cette guerre pour ainsi dire, au nom de la défense moins de la profession que de leurs propres intérêts et droits sur lesquels il y a beaucoup à redire : ont-ils bonne conscience ? Quel est leur but de guerre sachant qu’ils pourraient faire des victimes dans les rangs des exclus d’hier et d’aujourd’hui qui n’ont d’autre issue de secours que ce que leur offre le système éducatif républicain ?
Comme si la fracture sociale, les inégalités régionales, l’absence de croissance et de création d’emplois qui ajoutent à leurs frustrations n’y suffisent pas. Veulent-ils faire plier un ministre sous pression au motif de mettre en difficulté le gouvernement, d’ajouter la crise à la crise ? Pour quelles raisons prennent-ils le risque de compromettre l’avenir de notre jeunesse, d’hypothéquer notre développement économique et social en condamnant ainsi le pays à la régression et à la marginalisation ?
Ils s’attaquent ce faisant à la matrice, à la cellule souche, à l’ADN d’une nation qui s’est construite sur le rayonnement de ses écoles bâties au prix d’énormes sacrifices.
L’école a eu raison de la dictature et du déficit de démocratie. Elle a porté notre voix jusque chez les grands de ce monde. Nos diplômes avaient valeur d’exemple. Nos étudiants avaient accès aux meilleures universités mondiales. On s’arrachait nos enseignants et nos diplômés.
En 2010, quoi qu’on ait pu dire – souvent à raison de cette période – la Tunisie avait réussi à rejoindre le groupe des émergents : elle n’était pas en première ligne, mais elle figurait dans un rang on ne peut plus enviable.
L’heure est grave pour s’autoriser et pour prendre le risque de sonner le glas de notre système universitaire déjà largement décrédibilisé. La moindre panne de l’université et de l’école publique est annonciatrice d’un véritable désastre national. Car elle interviendrait à l’heure où s’accélère et s’aggrave l’hémorragie de compétences et cerveaux attirés par de meilleures conditions de travail et de rémunération ailleurs qu’en Tunisie, désormais aux horizons et à l’avenir incertains.
La politique, l’idéologie, la lutte pour le pouvoir ne doivent pas faire une incursion dans l’école, les collèges et l’université, qui forment le coeur battant de la nation. Aucun enjeu professionnel ou syndical ne devrait les dévier de leur vocation originelle et les mettre en danger. La moindre perturbation provoquerait dans l’immédiat et à terme d’énormes dommages collatéraux dans le corps social, les entreprises et dans l’ensemble des comptes de la nation.
L’université est notre principal vecteur d’intégration dans l’économie-monde qui connaît aujourd’hui de rapides et profondes mutations économiques, géopolitiques et technologiques.
Nous n’avons d’autre choix que d’agir, de prendre le train du changement en investissant encore et toujours dans le savoir et l’économie de la connaissance. Car il nous faut à tout prix maîtriser les outils techniques, les process de production, de marketing et l’ingénierie financière pour nous positionner sur les nouvelles chaînes de valeur moins nombreuses que par le passé, mais plus sophistiquées, revisitées qu’elles sont par l’intelligence artificielle, les nouvelles technologies, la robotique…
C’est dans ce genre de filières auxquelles s’associent nécessairement les universités qu’il nous faut déjà et plus encore à l’avenir chercher les principaux relais de la croissance. Tous les experts en développement s’accordent à le souligner : les avantages comparatifs fondés sur les bas coûts et les bas salaires, qui furent pendant longtemps notre seule marque de fabrique, sont révolus et appartiennent au passé.
La Tunisie, pour exister et se frayer un chemin, doit monter en gamme. Elle doit, à cet effet, faire valoir son capital de compétences humaines, son haut niveau de maîtrise technologique et sa qualité de vie pour préserver et améliorer l’attractivité du site Tunisie. La R-D et l’innovation et un haut niveau de compétences humaines lui procureront les moyens pour défendre ses propres intérêts et faire entendre de nouveau sa voix. Rien de tout cela ne peut se concevoir sans l’impérieuse nécessité d’améliorer l’efficacité de notre système éducatif. Pour conjurer les menaces d’une compétition mondiale aux relents guerriers soumise à la loi du plus fort.
Nos chances de développement, notre capacité de profiter des opportunités d’investissements locaux et étrangers se mesurent au nombre, à la qualité et aux compétences de nos ressources humaines. Autant dire au dynamisme et à la pertinence de notre système éducatif et universitaire. Question importante. La crise qui secoue et agite l’Université aujourd’hui et qui menace de la dégrader devrait sans doute nous inciter à la réformer profondément en lui conférant plus d’autonomie financière et de liberté en matière de recrutement et de rémunération.
Objectif : nous mettre en ligne, au diapason d’un monde qui change, bouge, évolue, rejette, paupérise et exclut.
La formation de nos cadres, de nos ingénieurs, de notre élite managériale est et restera notre principal atout et notre seul espoir d’exister, de croître et de prospérer en nous positionnant au mieux de nos capacités intellectuelles dans les filières technologiques et les activités de services d’avenir. C’est d’ailleurs l’une des principales conclusions et recommandations du Forum de l’Economiste Maghrébin dédié cette année à notre capacité d’apporter les vraies réponses pour surfer sur la vague du nouvel ordre commercial mondial plutôt que d’être contraints d’en subir les effets.