La Commission des finances au sein de l’ARP vient d’approuver la sortie de la Tunisie sur les marchés internationaux pour la levée de 800 millions $. Contacté par leconomistemaghrebin.com, l’Expert-comptable Walid Ben Salah revient sur les facteurs de risque de cette opération.
Ainsi, Walid Ben Salah affirme que cette la sortie de la Tunisie sur les marchés internationaux sera entourée de plusieurs difficultés. Et ce, en raison du contexte économique et financier peu favorable tant à l’échelle nationale qu’internationale.
L’Expert-comptable précise que les facteurs de risque endogènes et exogènes sont multiples. Il faut rappeler que le montant total des emprunts nécessaires pour le financement du budget de l’Etat en 2019 prévu par la LF s’élève à 10,1 milliards DT dont 7,8 milliards DT d’emprunts extérieurs. Et parmi eux un ou plusieurs emprunts sur les marchés internationaux sont prévus pour une enveloppe globale de 3,4 milliards DT.
Walid Ben Salah : les facteurs de risque endogènes
Les facteurs de risque endogènes sont, selon ses dires, liés principalement au taux de croissance très faible. Soit 1,1% en glissement annuel réalisé au cours du premier trimestre 2019. « C’est le taux le plus faible depuis 2016. Sachant que la croissance par rapport au 4ème trimestre 2018 n’a été que de 0,1%. Soit le même taux de croissance dudit trimestre. Ce qui revient à dire qu’il y a une stagnation économique durant deux trimestres successifs ».
En effet et au cours des quatre premiers mois de 2019, l’indice de production industrielle a baissé de 2,8%. Les exportations au prix constant ont également fléchi de 2,7%. Le déficit commercial abyssal ayant atteint 6,4 milliards de dinars est en aggravation continue. Il affecte ainsi les réserves en devises qui se situent à 13 milliards DT, soit 74 jours d’importation, le même niveau qu’il y a un an. Et par là même, le déficit courant qui s’est établi à un niveau historique de 11,2% à fin 2018.
Par ailleurs, le volume de l’endettement public constitué de 70% d’emprunts extérieurs ne cesse d’augmenter. Il devient de moins en moins soutenable eu égard à la structure même des différentes rubriques du budget de l’Etat et les écarts significatifs par rapport aux hypothèses de base. Notamment les taux de croissance et de change.
Des facteurs aggravants de risque
A ce titre, il convient de signaler que les données d’exécution du budget de l’Etat de 2019 ne sont pas encore publiées. Ce qui est aberrant et ne permet pas de déterminer la situation des finances publiques convenablement par rapport aux objectifs. Et ce, surtout en matière de déficit budgétaire estimé à 3,9% par la LF 2019.
En outre, M. Ben Salah a précisé que la situation financière de plus en plus alarmante de plusieurs entreprises publiques ainsi que des caisses sociales aggrave davantage les facteurs de risque. S’ajoute à cela l’assèchement des liquidités sur le marché bancaire et financier. Mais également le recours soutenu au refinancement de la BCT dont le volume est de 15,7 milliards DT. Ainsi que le taux d’inflation qui demeure élevé à 6,9% et le taux de chômage quasiment stable à 15,3%.
« L’ensemble de ces indicateurs en dégradation risque d’affecter la note souveraine attribuée par les agences de notation. Ce qui est de nature à impacter négativement la confiance des bailleurs de fonds étrangers. Et par là même, défavoriser la sortie sur les marchés internationaux. Sachant que les dernières notations attribuées par Moody’s, Fitch Rating et R&I en 2018 sont placées sous perspectives négatives. D’ailleurs, le rapport de la dernière revue du FMI à soumettre au prochain conseil en juin n’est pas encore publié. Et le déblocage de la 5ème tranche du crédit n’est pas encore décidé. Ce qui complique davantage la situation de flou et favorise l’attentisme sarcastique ».
Walid Ben Salah : facteurs de risque exogènes
En ce qui concerne les facteurs exogènes, notre interlocuteur a indiqué que la situation de liquidités sur les marchés internationaux n’est pas vraiment au rendez-vous. La guerre commerciale menée par les États-Unis contre la Chine, la Russie et l’UE a impacté négativement les marchés.
En fait, la Chine est en train de céder massivement ses bons de trésor américains. D’où leur taux d’intérêt qui atteignent des niveaux très bas à plusieurs reprises ces dernières semaines. La demande de l’or à, quant à elle, augmenté de 7% en quatre mois.
De même, les tensions avec l’Iran vont, selon ses propos, soutenir davantage la tendance haussière du cours du baril. La croissance en Europe est molle et a été révisée à la baisse principalement par la France et l’Allemagne. L’Italie vit, de son côté, une crise financière accrue et la Grande-Bretagne sombre dans les obstacles handicapants du Brexit.
Autant de facteurs exogènes et bien d’autres qui ne favorisent pas cette sortie projetée sur les marchés internationaux.
« Tout est une question de confiance, de bonne volonté manifeste et de transparence »
Pour conclure, M. Ben Salah a fait savoir que l’ensemble de ces risques peut peser lourdement sur les conditions de ladite sortie surtout en matière de montant à lever, de durée de remboursement et de taux d’intérêt. Ces derniers pourraient être plus exagérées que la dernière sortie d’octobre 2018 qui, pour rappel, a permis difficilement et à des conditions déjà exorbitantes de lever 500 millions $ sur cinq ans au taux nominal de 6,75%. Sachant qu’à l’instar de sa précédente, la prochaine sortie de la Tunisie n’est pas assortie de garanties permettant de mieux négocier ses conditions.
Au final, Walid Ben Salah estime que le dossier de la Tunisie doit être soigneusement préparé ainsi que le road-show. Les négociateurs tunisiens doivent aussi user de beaucoup de détermination et de force de conviction et puiser efficacement dans le potentiel de bon relationnel du pays. « Tout est une question de confiance, de bonne volonté manifeste et de transparence », conclut-il.