L’avenir du modèle démocratique réside au-delà du seul jeu de la compétition électorale. Les régimes du Maghreb (central) l’illustrent à leur manière.
L’organisation d’élections est loin de satisfaire la demande politique de citoyens, qui ont développé une défiance aiguë à l’encontre de leurs élus. D’autres modes de participation démocratique doivent être expérimentés en dehors des traditionnels cadres institutionnels et électoraux. Cette voie est susceptible de renouer le lien entre les citoyens et la gestion des affaires publiques.
Repenser la participation démocratique citoyenne
Non seulement la notion de citoyenneté inclut une dimension extra-électorale, mais la crise du système représentatif (basé notamment sur l’emprise des partis politiques) et la dévalorisation de l’institution parlementaire ont nourri l’introduction dans le champ politique de formes rénovées de délibération / participation démocratique, dans un contexte social marqué par l’individualisation croissante des conditions.
Or « le désir [est] croissant de la société civile de s’autogouverner » du fait des « tendances philosophiques qui, en prônant les vertus du ‘dialogue’, de l’intersubjectivité, affaiblissent la légitimité de l’État et de l’unilatéralité de son action » (O. Beaud, 1992).
Sous l’influence de la pensée du philosophe allemand Habermas sur l’espace public, le rapport du pouvoir d’État à la société évolue à travers l’institution de procédures délibératives et décisionnelles plus participatives.
D’un point de vue analytique, trois types de participation se dégagent : la consultation (elle tend à recueillir l’avis des individus, sans que le processus de décision s’en trouve modifié), la concertation (davantage qu’un simple recueil d’avis, elle s’inscrit dans le processus de coproduction d’une décision, selon des procédures qui varient en fonction des dispositifs) et la négociation (elle conduit à la co-production d’une décision, d’un accord, avec toutes les parties prenantes).
Ces formes de participation peuvent s’inscrire dans une démarche démocratique, rapprocher les gouvernés de la prise de décision ou encore faire de la pédagogie autour d’un fait social (sanitaire, environnemental, technologique, économique).
Au-delà des mouvements de contestation– qui animent l’actualité du Maghreb-, l’action menée par certains « contre-pouvoirs sociaux informels » met en mouvement la souveraineté du peuple désormais incarnée non plus seulement par les électeurs, mais par l’action des citoyens dans la société civile. Cette dernière nourrit le phénomène de « contre-démocratie » (P. Rosanvallon, 2006) entendue comme l’expression sociale de la défiance à travers des formes extra-représentatives de la politique.
La souveraineté du peuple viendrait dorénavant prendre corps non plus exclusivement par la figure de l’électeur, mais aussi par celle de l’acteur de la société civile, via cet ensemble de nouvelles pratiques de défiance et l’affirmation de contre-pouvoirs sociaux informels.
Pour une démocratie plus participative
La démocratie participative exprime « l’institutionnalisation de la participation citoyenne dans la mise en place des politiques publiques » (Y. Sintomer, 2006). Celle-ci traduit le développement de processus de délibération et de décision collectives visant l’intérêt général ou le bien commun.
Les régimes démocratiques contemporains expérimentent des procédures de discussion, de consultation et de contrôle associant les citoyens à la définition de l’action publique.
Ces nouvelles formes d’engagement citoyen émergent en dehors des cadres traditionnels du système représentatif et électoral. Cette concurrence à la démocratie « positive », celle de l’expression électorale et des institutions légales, tend à repenser les mécanismes d’interface entre pouvoir et société.
Cette évolution sociale, indissociable de la crise du système représentatif, témoigne de l’affirmation de sources de légitimité autres que l’élection. Elle induit également le dépassement d’une conception passive de la citoyenneté, réduite à l’exercice périodique du droit de vote aux élections.
Ces évolutions participent de la recherche d’un équilibre permettant à l’État de bénéficier des multiples rôles que peuvent jouer la société civile et ses organes représentatifs, selon des règles mieux définies : un rôle de représentation, de veille et d’alerte, d’expertise et d’innovation, ainsi que de relais pédagogique.
La démocratie électronique– c’est-à-dire « l’intégration des nouvelles technologies dans les processus de participation, de délibération et de protestation politiques » (J. Tournadre-Plancq, 2006)– ouvre ici de nouvelles perspectives.
Or, si le numérique et les réseaux sociaux sont susceptibles de renforcer les modes de participation citoyenne (information en temps réel, mobilisation en un laps de temps très réduit, …), l’émergence d’une « démocratie délibérative » en ligne est source aussi de désinformation à grande échelle. C’est pourquoi la régulation de ce nouvel espace de débat continu est devenue un impératif démocratique.
Doit-on laisser une telle fonction de régulateur aux seules entreprises du numérique ? Doit-on laisser une part du jeu démocratique aux mains de groupes et d’intérêts privés ?