« Entreprises publiques : restructuration, enjeux, menaces et opportunités » ? Que retenir de la table ronde organisée par L’Economiste Maghrébin en partenariat avec la Banque mondiale. Si ce n’est qu’elle dissèque la problématique dans tous ses aspects.
Malgré les différentes orientations économiques et idéologiques des intervenants, les avis convergent vers la nécessité du sauvetage des entreprises publiques tunisiennes. Et ce, afin qu’elles puissent jouer efficacement leur rôle économique et social.
Entreprises publiques : restructurer ou privatiser ?
Les intervenants sont unanimes sur le fait qu’il n’existe aucune recette unique qui permettrait de réformer les entreprises publiques. Ainsi, le traitement des entreprises publiques devra se faire au cas par cas. Et le choix de la privatisation se prendra en fonction du secteur de l’entreprise selon qu’elle soit stratégique ou pas.
Par ailleurs, l’Etat doit choisir entre s’engager pour le social- et jouer le rôle de l’Etat-providence- ou opter pour l’économie de marché. Donc, pour mener à bien les réformes des entreprises publiques, il faut les centraliser en une seule entité. Or, actuellement plusieurs organismes et plusieurs ministères gèrent le dossier de la réforme des entreprises publiques. De même, il semble que la fusion des banques publiques s’impose. De ce fait, l’Etat doit créer une seule banque de développement dédiée aux PME.
De plus, la réforme ne peut se faire sans une démarche participative et dans le cadre de la concertation. Pour ce qui est du management, les intervenants ont proposé d’instaurer un management plus flexible. De même, les décideurs des entreprises publiques doivent bénéficier de plus d’autonomie. Et les intervenants ont appelé à la transparence quant aux rapports financiers des entreprises publiques.
En outre, ils ont affirmé que la restructuration des entreprises publiques ne signifie pas uniquement la suppression des emplois. Dans la même perspective, les intervenants sont unanimes sur la nécessité de fidéliser et valoriser les talents et les compétences dans le secteur public.
Source d’inquiétude !
Le responsable des opérations pour la Tunisie de la Banque mondiale Antonius Verheijen affirme pour sa part que le cas des entreprises publiques en Tunisie demeure une source d’inquiétude et que, pour le moment, il n’existe pas de piste de solution. Par ailleurs, l’intervenant a souligné le fait que le sujet des entreprises publiques ne doit pas faire l’objet de tractations idéologiques.
Ce volet comporte un certain nombre d’aspects. Le premier porte sur la performance des entreprises publiques. En effet, les entreprises publiques doivent générer des bénéfices pour alimenter l’économie tunisienne et donner plus de ressources à l’Etat.
Le deuxième aspect porte sur la transparence des entreprises publiques. La transparence s’impose étant donné que les entreprises publiques bénéficient de l’argent du contribuable. Ainsi, le public a le droit se savoir ce qui se passe au sein des entreprises publiques.
Le troisième aspect porte sur la contribution des entreprises publiques tunisiennes dans le développement économique. En effet, vu leurs faibles performances et leurs problèmes, les entreprises publiques font que des investisseurs préfèrent ne pas investir en Tunisie. Surtout que la moitié des entreprises publiques opèrent dans des domaines concurrentiels. De même, on pourrait parler d’une certaine concurrence déloyale entre les entreprises publiques et les entreprises privées qui opèrent dans un même secteur. L’intervenant a considéré que le rôle social des entreprises publiques ne doit pas empêcher le fait qu’elles soient bénéficiaires.
Afin d’illustrer ses idées, Antonius Verheijen cite un certain nombre de chiffres. En effet, en 2018, les entreprises publiques tunisiennes cumulaient des pertes à hauteur de 13 milliards de dinars soit 1,5% du PIB. D’ailleurs, les entreprises publiques bénéficient, pour être sauvées, d’un transfert budgétaire de l’ordre de 564 millions de dinars en 2016. Il pointe ainsi du doigt l’Etat qui n’a pas une vision exhaustive sur les entreprises publiques. Sur un autre volet, il a rappelé que plusieurs entreprises publiques n’ont pas publié leurs rapports financiers dans les délais alors qu’elles sont cotées en Bourse. Pis encore, des commissaires aux comptes ont émis plusieurs réserves sur des rapports financiers des entreprises publiques.
Mettre fin aux recrutements abusifs
Le directeur de l’Agence française de développement (AFD) Gilles Chausse, a affirmé lors de son intervention que l’AFD n’a pas de solution ou kit pour la situation des entreprises publiques. Ainsi, le souhait de l’AFD est de voir des entreprises publiques sereines réalisant des bénéfices permettant d’assurer leur pérennité. Ainsi, pour l’AFD, le sauvetage des entreprises publiques passe par la libération et la valorisation du potentiel de croissance.
Cela permettrait, entre autres, d’assurer une meilleure allocation aux ressources publiques. Cette réforme permettrait de fournir aux citoyens et aux entreprises des services publics de qualité à des coûts maîtrisés. Par ailleurs, vu la situation actuelle, l’Etat ne peut plus jouer le rôle d’amortisseur social à travers des recrutements abusifs et massifs.
Egalement, les problèmes principaux des entreprises publiques sont l’endettement et la faible performance. Sur un autre volet, le directeur de l’AFD affirme que plusieurs entreprises publiques ont bénéficié de l’appui et de l’expertise de l’AFD à l’instar de la STEG, SONEDE, TRANSTU, ARRU, BH et BNA.
Et il a mis en garde contre le cercle vicieux dans lequel les entreprises publiques se trouvent (affaiblissement, intervention de l’Etat pour garantir les prêts). Il a rappelé que l’Etat a demandé un appui technique et financer de l’AFD fin 2016. D’ailleurs, l’AFD a mis en place un appui budgétaire de 100 millions d’euros encaissables sur deux tranches pour appuyer la réforme et la restructuration des entreprises publiques.
Etat-providence ou économie de marché ?
Intervenant dans le cadre du débat Taoufik Rajhi, ministre auprès du chef du gouvernement chargé des Grandes réformes, indique qu’on ne peut pas reprocher au gouvernement de ne pas avoir un leadership ou une communication. Par ailleurs, il fait remarquer que plusieurs unités et organismes au sein du gouvernement gèrent les dossiers des entreprises publiques d’où la nécessité de les unifier. Répondant aux intervenants, le ministre affirme que le gouvernement a bel et bien une vision claire sur les réformes des entreprises publiques.
Le conseiller auprès du chef du gouvernement chargé du dossier de la réforme fiscale, Faycel Derbel déclare de son côté qu’il faut savoir ce qu’on veut exactement. Pour lui, il faut statuer sur un certain nombre de questions qui portent sur les entreprises publiques tunisiennes. Pour montrer la gravité de la situation, il avance qu’un certain nombre de chefs d’entreprise sont en train de négocier avec les banquiers des procédures leur permettant de verser les salaires des fonctionnaires.
Par ailleurs, il a plaidé pour la mise en place de mesures législatives urgentes avant les vacances parlementaires. Ainsi, il faut statuer sur le choix entre l’injection de liquidités pour permettre aux entreprises publiques de survivre ou les laisser en situation de cessation de paiement. De même, il indiquée qu’il faut statuer sur le choix économique, Etat-providence ou économie de marché.
Samir Cheffi, secrétaire général adjoint de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), affirme que la réforme des entreprises publiques ne peut pas se faire avec des textes législatifs obsolètes. Il s’agit d’un sujet qui doit être traité loin de toute tractation politique et idéologique, lance-t-il. Samir Cheffi a souligné l’importance de la mise en place des réformes. « Même s’il faut licencier plusieurs fonctionnaires pour une meilleure réforme des entreprises publiques, l’UGTT ne s’opposera pas à cela », affirme-t-il. Continuant dans la même perspective, l’intervenant a fait savoir qu’après l’indépendance, les entreprises publiques ont crée les opportunités d’investissement pour le secteur privé. Concernant la réforme, il confirme la nécessité de traiter les entreprises au cas par cas.
Secteur public – secteur privé : quel lien ?
Le président de la CONECT, Tarak Cherif, plaide pour le pragmatisme pour résoudre le problème des entreprises publiques. Il s’interroge sur les raisons de l’intervention de l’Etat dans des secteurs concurrentiels comme le commerce. « Nous sommes contre la monopolisation des secteurs qu’ils soient publics ou privés », lance-t-il. Par ailleurs, il affirme que ce n’est pas dans le rôle de l’Etat d’organiser les voyages et le pèlerinage. Le président de la CONECT estime que le secteur privé peut fournir des prestations de services plus efficaces et avec des prix compétitifs par rapport au secteur public.
Nafaa Ennaifer, membre du comité directeur de l’IACE affirmé lors de son intervention que l’entreprise publique doit être bénéficiaire. Pour illustrer son idée, il cite le cas de la Poste norvégienne. Abordant le cas de Tunisair, il a considéré que l’Open Sky peut donner de nouvelles chances pour Tunisair. Par ailleurs, il estime que la restructuration ne passe pas par l’injection de l’argent et le licenciement.
Le président-directeur général de la STB, Lotfi Dababbi, affirme l’existence de plusieurs entreprises publiques tunisiennes performantes. D’ailleurs, les trois banques publiques tunisiennes réalisent 40% du PNB des banques. Le PDG de la société Nabil Smida a affirmé lors de son intervention que Agil agit dans le secteur de l’infrastructure, chose que le privé ne peut pas assurer. Mohamed Fadhel Kraiem, président-directeur général de Tunisie Telecom est revenu sur le parcours de l’entreprise, tout en affirmant que 2011 était pour elle un tournant décisif.