L’historien doit prendre le temps de la mise en perspective, de l’évolution globale et se dégager du piège de la raison narrative. Dans notre cas, il est opportun d’évoquer un passage de paradigmes, avec les «idéaltypes» dominants, de la tradition puis de la modernité et de l’ouverture bourguibiennes. Discours et praxis, le bourguibisme est une vision du monde. L’historien doit examiner son ouverture de l’horizon.
L’adoption, du Code du Statut Personnel, le 13 août 1956, quelques mois après l’indépendance tunisienne (20 mars 1956) atteste que le leader Habib Bourguiba, transgresse, dans la mise en application de son idéaltype, sa stratégie des étapes et le « gradualisme » qui a marqué son action politique.
Durant ce moment décisif du recouvrement de l’indépendance, le leader réalise que l’ordre du monde passé s’effondre, alors que l’ordre de l’avenir ne se dégage pas encore. Les deux moments – celui du dépérissement tout comme celui de la régénération – vont souvent de pair dans cette conjoncture. Alors que la nature du pouvoir n’a pas été encore définie, le régime beylical étant en sursis, Habib Bourguiba nommé Premier ministre, après l’élection de l’Assemblée Constituante, promulgua, le Code du Statut personnel.
Interrogé sur le timing du processus, par son conseiller Béji Caïd Essebsi, Habib Bourguiba lui répond que «si cette réforme n’est pas réalisée maintenant, elle ne pourra peut-être plus jamais être réalisée et je ne suis pas sûr de pouvoir moi-même la réaliser encore dans six mois» (Béji Caïd Essebsi, Bourguiba. Le bon grain et l’ivraie, éd. Sud Éditions, Tunis, 2009). “Ce que j’ai fait pour la femme, dira-t-il en 1972, demeure la fierté de mon œuvre”.
L’émancipation féminine, la suppression de la polygamie et du divorce unilatéral et l’égalité du genre- à l’exception de l’égalité de l’héritage, que Habib Bourguiba a annoncée, mais n’a pas pu être promulguée- constituent des exceptions dans l’aire arabe. Ils représentent des axiomes des acquis démocratiques et associent la rupture avec le despotisme colonial et le traditionalisme de la société tunisienne, dominant, dans une large mesure son inconscient collectif.
Les réformes bourguibienne s’inscrivent dans une relecture du référentiel, puisée dans l’école des réformes du XIXe siècle et l’adoption du livre -fatwa de Tahar Hadad, notre femme, dans la charia et dan société (1930). Rejetant les accusations de l’école conservatrice arabe, qui l’accuse volontiers de laïcité, sinon de trahison religieuse, Habib Bourguiba affirma : ‘‘L’État tunisien moderne n’est pas laïc; c’est un État musulman mais progressiste. On a toujours cru que l’islam était un élément de recul, de stagnation; la cause en est dans les hommes de l’Islam, ceux qui interprètent la loi de l’Islam et qui ont l’esprit très étroit, figé, pétrifié. Moi j’interprète les textes religieux de façon très libérale’ (discours de Habib Bourguiba, rapports de la Tunisie avec l’Islam et la démocratie, mars 1961).