« Ceux qui ont revendiqué de tenir le gouvernail de la patrie doivent veiller et travailler, avec toute leur science et toute leur diligence, à maintenir intacts les fondements [de l’État] […], à ne pas dévier de leur course et à gagner ce havre de tranquillité et d’honneur ». Cicéron
Non seulement c’est une campagne électorale qui s’annonce désenchantée, mais elle est désorbitée avec des dérapages dont on aurait pu se passer et qui augurent mal de la suite. Du côté des électeurs, on ne sait plus où on en est, quelle ligne de pensée ou de conduite on doit suivre, qui de ces postulants mérite la confiance. La plupart des prétendants aux élections et au suffrage populaire errent dans leur désert aride et n’agissent plus qu’au hasard de leurs impulsions, de leurs intérêts, de leurs petites ambitions, tout en dénigrant et calomniant les concurrents.
Immaturité politique
C’est le cas d’un jeune homme inconnu du grand public il y a quelques années. Il a réussi à devenir ce qu’il est par la grâce d’un faiseur de roi. Malgré le préjugé favorable qui lui a été accordé lorsqu’il a été parachuté, la greffe n’a jamais pris. Il s’est avéré être sans préparation à l’exercice de la fonction. Mal entouré, il traîne depuis un bilan très négatif si l’on se fie aux statistiques économiques et aux affaires. Il prétend aujourd’hui vouloir devenir président pour faire ce qu’il n’a pas fait. Il n’a jamais été en mesure de pleinement tenir le gouvernail. Gouverner c’est tenir le gouvernail. Et diriger c’est définir une direction, un cap.
En navigation, d’où ces métaphores tirent leur origine, le cap est décidé par les utilisateurs du bateau, les passagers qui doivent rester maîtres de la destination de leur voyage, et le gouvernail est confié par nécessité pratique à quelques marins à la seule fin que ce cap soit maintenu. Notre rameur, figé dans son immaturité politique, n’a pas su tenir le gouvernail, il est dans une sorte de fuite en avant. Ce qui pourrait résumer notre désarroi.
Dans l’intervalle, on oublie les méfaits de la machine infernale causés par la nébuleuse islamiste, Ennahdha et ses satellites, qui grippe toute avancée et qui manipule tant de pantins. L’hypothèque islamiste, suspendue sur notre tête, n’a cessé de faire peser un véritable blocage sur la situation économique et sociale, provoquant la faillite des gouvernements successifs, englués dans l’affairisme, la gabegie financière, la corruption, le clientélisme et la privatisation de l’État.
Elections : une occasion exceptionnelle
Pourtant, les élections présidentielle et législatives pourraient être une occasion exceptionnelle pour lever une fois pour toute cette hypothèque, ouvrant la voie à l’instauration d’un gouvernement de salut public issu d’une majorité républicaine à l’ARP, sans les caciques du parti Ennahdha et ses clones.
Il est temps que les électeurs renvoient, par un vote lucide et avisé, cette confrérie vers l’exercice de ses talents dans l’opposition. Une occasion leur serait offerte afin qu’ils prouvent leur respect des lois de la République et démontrent que leur prétendue mue proclamée est bien réelle, en quittant ses accoutrements originels et en abandonnant le projet de renverser le système séculier prévalant dans la société tunisienne.
Tout en sachant pertinemment que, quoique prétendent les hiérarques de cette mouvance, l’enjeu pour eux demeure le contrôle de la société tunisienne et l’accaparement de tous les rouages de l’État. Par conséquent, la première préoccupation des candidats « respectables » aux élections présidentielles et législatives doit être le choix d’une démarche résolue sur les dispositions énergiques à prendre pour lever cette hypothèque.
S’agissant des élections, de réels soupçons ont été exprimés notamment par des députés concernant la mainmise d’Ennahdha sur le Centre National de l’Informatique (CNI), sous tutelle du ministre des Technologies de la Communication et de l’Économie Numérique, issu de cette mouvance. Aucune suite n’a été donnée, comme sur bien d’autres sujets. Il ne faut pas omettre de souligner que le CNI a accès à toutes les bases de données, dont les données privées de tous les citoyens, dans leurs moindres détails. Il représente le centre névralgique des opérations électorales. Les agents et les cadres de ce centre avaient alerté sur les nominations et les promotions suspectes effectuées en son sein, pointant du doigt Ennahdha. La grande question demeure la suivante : est-ce que le système relatif aux élections, qui est hébergé au CNI, est vraiment contrôlé entièrement par l’ISIE ?
Il faut évidemment et avant tout se garder de toute attitude naïve dans cette traversée de tous les risques vers la prochaine quinquennie. C’est à travers les images et par la mise en scène de symboles significatifs observés ces derniers temps que l’on peut devenir « attentif » aux dangers imperceptibles qui menacent à notre insu le quotidien et le lendemain.
Sans mésestimer l’extrême complexité politique à laquelle nous sommes confrontés pour aborder ces élections combien décisives, il n’est pas question d’accepter que des candidats prônent, dans un style amphigourique et des circonvolutions syntaxiques, l’activation de la marche arrière, pour renouer, peu ou prou, avec une énième forme de « taouafek ».
Le chantage à l’emploi de la violence et du désordre brandi de temps à autre par les caciques de la confrérie ne doit pas nous impressionner. Il y a des lois qui doivent être appliquées inflexiblement contre les séditieux et les fauteurs de troubles. Il est vital de tourner la page complètement et de remettre le train Tunisie sur les rails.
Enjeu de taille
L’enjeu est de taille. En son état actuel, l’éparpillement ne servira que la confrérie et ses clones, que nous voyons arriver avec leurs gros sabots. Dans ces conditions, les authentiques républicains seraient assurément mis hors jeu. Il n’est pas encore tard pour trouver un « socle commun » d’engagements en rupture avec le passé, rendant ainsi possible une alternative prometteuse pour un avenir meilleur. Ils auraient ainsi tout fait pour éviter la catastrophe et sortir le pays du sillon dans lequel il s’enlise depuis plusieurs années. Nous serions ainsi dans la clarté politique. Ne lâchons pas la proie d’un projet républicain pour l’ombre d’un immédiat, que les manigances d’Ennahdha en sous-main embrouillent.
Mais il faut reconnaître qu’on est bien loin du « sursaut » espéré. La médiocrité intellectuelle et morale d’une partie du personnel politique tunisien est dangereuse puisqu’elle conduit à ne pas comprendre ses échecs, à aligner les clichés et les incohérences. Bref, à persévérer. Une forme d’immaturité politique se déploie, consistant à partir à l’assaut des élections présidentielles et législatives avec des méthodes qui leur en interdisent l’accès si on appliquait drastiquement les règles.